Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/190

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met souvent des bornes au pouvoir de l’art : voilà pourquoi la propagation d’une variété, ou d’une espèce, agricolement parlant, arrive elle-même, après la succession de plusieurs années, soit par l’effet d’un changement de sol et de climat, soit par une culture moins soignée, à dégénérer en une variété nouvelle. On appelle plante dégénérée celle dont es fruits sont d’une qualité inférieure aux fruits du principe dont elle est générée ou dont elle est une reproduction. On ne doit donc pas être étonné de trouver dans nos vignes un nombre presque infini de variétés dans les ceps dont elles sont composés, alors même qu’on supposeroit les souches primitives ou les races secondaires avoir été, dans le principe, restreintes à un petit nombre.

En effet, quand les Grecs apportèrent à Marseille les premiers plants de vigne qu’on eût encore vus dans les Gaules, il est vraisemblable que les espèces ou variétés étoient en foible quantité ; ces plants n’avoient encore éprouvé qu’une seule fois l’effet de la transplantation, celle du continent Asiatique, leur berceau, dans les îles de la Grèce. Mais à l’époque où cette plantation fut entièrement renouvelée en deçà des Alpes, les ceps qu’on y transporta pouvoient avoir déjà subi d’étonnantes modifications dans leurs formes et par conséquent, dans les qualités de leurs fruits, parce qu’ils avoient passé de la Grèce en Sicile, de Sicile en Italie, et que cette propagation s’étoit faite en Italie insensiblement, et de contrée en contrée. De tous ces changemens de terrains et de climats n’étoit-il pas déjà résulté des variétés-nouvelles ? Et si on ajoute à ces premières causes des variétés les effets des transplantations qui ont dû avoir lieu en France, pour étendre la culture de la vigne depuis les Bouches du Rhône jusqu’aux rives du Rhin et de la Moselle, dans une étendue de deux cent cinquante lieues, qui présente des sols et des climats si divers, on ne peut douter que la plupart de ces plants n’aient éprouvé pendant ce long trajet d’étonnantes diversités dans leur manière d’être, les unes en dégénérant, les autres en se régénérant. Je dis, en se régénérant, parce qu’il est plus que vraisemblable que, même en se rapprochant du nord, certains plants rencontrant un climat accidentel plus analogue à leur nature, un sol plus favorable à leur végétation, un genre de culture plus soigné, que dans des points plus méridionaux, ne recouvrent les formes et qualités ou parties des formes et des qualités de leur essence primitive. C’est même à cette faculté de se régénérer que nous croyons devoir attribuer les heureuses métamorphoses opérées sous les yeux de deux observateurs, à l’œil desquels il n’échappe rien de ce qui peut contribuer aux progrès de la physique végétale et de l’agriculture proprement dite, les citoyens Villemorin et Jumilhac. Le premier a vu un cep de meunier, et l’on auroit pu croire cette variété une race primitive en la jugeant d’après un caractère qui