Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/348

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fez du muscat sur un chasselas, et comparez la qualité de son fruit à celle du muscat non greffé, vous conviendrez que la production de la greffe l’emporte ; faites la même épreuve avec du taurillon sur du chasselas ; et vous verrez que la greffe ajoute à la qualité du raisin. On sait bien que les raisins des jeunes greffes ne produisent pas d’aussi bon vin, que ceux des mêmes espèces anciennement greffées ; mais cette différence ne dépend pas de la greffe proprement dite ; elle ne doit être attribuée qu’à la différence d’âge dans les sujets. Au surplus, il n’est point de moyen plus simple et plus prompt de changer une mauvaise espèce en une bonne, et, nous ajouterions, de rajeunir les vieux ceps, si l’art de provigner nous étoit inconnu.

Avant de décrire les meilleurs procédés du provignage, il est bon de faire connoître les vices de ceux qu’on emploie le plus généralement dans nos vignobles. On se contente presque par-tout de coucher un sarment, en laissant subsister le cep. Le père, qu’on nomme la mère en plusieurs endroits, en souffre, et, on ne regarnit qu’une seule place vide. Il est de fait que la sève suit plus facilement et plus librement une route qui lui est déjà connue qu’elle ne s’en forme une nouvelle. Les branches gourmandes des arbres, les sarmens qui s’emportent lorsque leurs vrilles s’attachent à des supports qui les forcent de s’élever verticalement, en sont la preuve. Le cep, dont on couche un rameau, est comme un arbre auquel on laisse une mère branche ; elle attire presque toute la substance de la tige ; et, si cet arbre pousse quelques rejetons, leur force, leur vigueur, ne sont jamais comparables à celles des jets gros et robustes de la mère branche. Supposons un cep qui ait trois branches ou trois cornes ; chacune de ces cornes aura sa flèche, laquelle doit produire du bois et des raisins. Or, comment ce cep pourra-t-il répondre à votre attente, s’il nourrit un provin ? Celui-ci ne tire-t il pas naturellement la meilleure partie de la substance du cep ? ne dérobe t-il pas aux autres jets un bien qui leur appartenoit en propre, qui leur étoit nécessaire ? en favorisant l’un ne préjudicie-t-on pas aux autres ? On dira que le sarment une fois couché reçoit de la terre, par ses racines, des sucs suffisans pour n’être plus à charge au cep auquel il tient, et que, semblable à la crossette que l’on met en terre pour former une nouvelle plantation, il se suffit à lui-même, et n’exige plus aucun secours étranger. Mais, qui entretient ? qui nourrit ce sarment jusqu’à ce qu’il n’ait plus besoin du cep ? n’est ce pas par la communication continuelle et progressive de la substance même du cep, qu’il acquiert la force de pousser des racines ? Ce fait est si bien démontré, que si vous séparez au printemps le provin de sa mère-nourrice, il mourra en moins de huit jours. La communication de la sève étoit donc établie, nécessaire, indispensable ? C’est en floréal, prai-