Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/38

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Cet animal si rustique dans son maintien ordinaire, si paisible quand rien ne le tourmente, dont les formes même se cachent sous des touffes de poil aussi long que la nature le fait croître, dont on ne peut voir même le regard, par tous les crins qui couvrent et son front et ses yeux, et qui annonce au premier aspect être sans passions et sans caractère, développe en un clin d’œil toutes les beautés du cheval de la nature ; plein d’ardeur, de courage et de sentiment, il se montre intrépide et superbe ; sa rusticité même ajoute à sa beauté ; ses yeux pleins de feu et ombragés par des crins moitié flottans, moitié roulés ; ses oreilles velues, son encolure chargée d’une énorme crinière, ne le rendent que plus majestueusement terrible ; seul, au milieu du troupeau, il attire les regards et inspire de l’effroi… Tel j’ai vu une fois ce beau et touchant spectacle, digne d’exercer le pinceau de nos plus habiles peintres, et aussi de corriger la manie de tant de prétendus connoisseurs qui épilent et mutilent leurs chevaux.

La tranquillité de l’étalon dans le pâturage, ne suppose pourtant pas une fidélité exclusive, pour les jumens qui lui sont destinées. Il franchit quelquefois la haie (après quelques jours de repos) pour aller à d’autres jumens qu’il sent ou qu’il apperçoit ; et c’est pour empêcher ce vagabondage, qu’on lui met, ordinairement après la monte, aux pieds de devant, des entraves de fer ; ce qui l’empêche d’errer, et sert encore plus à effrayer le loup par le bruit que font les mailles de fer, quand il marche ou qu’il court : on n’avoit cependant recours à ce moyen, que quand les étalons avoient quitté le pâturage. Mais, depuis quelques années malheureusement, c’est un usage devenu général et nécessaire pour se prémunir contre les voleurs de chevaux qui désolent les pays où on en élève.

Si l’ardeur de l’amour domine quelquefois l’étalon, s’il se porte à des excursions libertines, il faut lui pardonner par la belle conduite, je dirai presque sentimentale, qu’il observe à l’écurie ; les mères lui ravissent impunément une partie de son avoine ou de son fourage : il ne montre aucune impatience d’être servi le dernier ; il pourroit, à juste titre, se venger de la voracité de certaines mères, que l’allaitement de leurs poulains rend très-affamées, mais jamais il ne s’en irrite. Il en est une cependant qu’il affectionne davantage : et c’est ordinairement celle qui est à côté de lui à l’écurie, et qu’il réclame en hennissant, si elle est absente ; la même prédilection se manifeste dans les champs.

Sa patience, ses bonnes qualités éclatent sur-tout à l’égard des poulains. Quand l’attelage revient du travail, quand les poulains accourent vers leurs mères, ce n’est autour de lui que sauts et bonds. À peine les mères sont-elles au râtelier et dans un espace presque par-tout trop étroit, que les poulains se mettent en position pour teter, c’est-à-dire, le dos vers l’auge, ils poussent et pressent le