Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/407

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Au bout de quelques jours, la fermentation commença : on s’aperçut que le centre des cuves étoit très chaud et les bords très froids ; les cuves se touchoient, et toutes deux éprouvoient la même température. On en fit fouler une avec un rabot à long manche ; on poussa vers le centre, qui étoit le foyer de la chaleur, la vendange des bords qui étoit froide ; on foula à plusieurs reprises, et on entretint par ce moyen la même chaleur dans toute la masse. La fermentation fut terminée, dans la cuve foulée, douze à quinze heures plus tôt que dans l’autre. Le vin en fut incomparablement meilleur ; il étoit plus délicat, avoit une saveur plus fine, étoit plus coloré, plus franc. On n’eût point dit qu’il provenoit de raisin de même nature.

Les anciens mêloient des aromates à la vendange en fermentation pour donner à leurs vins des qualités particulières. Pline raconte qu’en Italie il étoit reçu de répandre de la poix et de la résine dans la vendange, ut odor vino contingeret, et saporis acumen. Nous trouvons, dans tous les écrits de ce temps là, des recettes nombreuses pour parfumer les vins. Ces divers procédés ne sont plus usités. J’ai cependant de la peine à croire qu’on n’en tirât pas un grand avantage. Cette partie très-intéressante de l’œnologie mérite une attention particulière de la part de l’agriculteur. Nous pouvons même en présager d’heureux effets, d’après l’usage pratiqué dans quelques pays de parfumer les vins avec la framboise, la fleur sèche de la vigne, etc.

Darcet m’a communiqué les faits suivans, que je m’empresse de publier ici, comme pouvant donner lieu à des expériences propres à avancer l’art de la vinification :

« J’ai pris, dit-il, un demi-tonneau qu’on nomme un demi-muid, je l’ai d’abord rempli de suc de raisin non foulé et tel qu’il a coulé de lui-même du raisin porté de la vigne dans le pressoir ; aussi n’a-t-il que très-peu de couleur.

» Ce tonneau contenoit environ cent cinquante pintes ; j’en ai pris environ trente pintes qu’on a évaporées et concentrées à peu-près à un huitième du volume de la liqueur ; on y a ajouté quatre livres de sucre commun et une livre de raisins de carême, qu’on a eu la précaution de déchirer ; ensuite on a reversé le tout encore un peu chaud, dans le tonneau, qu’on a achevé de remplir avec du même moût, qu’on avoit gardé à part. On a ajouté dans le tonneau un bouquet d’une demi-once de petite absinthe sèche et bien conservée ; on a légèrement couvert le tonneau de sa bonde renversée : la fermentation n’a pas tardé à s’y établir, et s’est faite d’une manière franche et vive.

» Outre cette pièce de moût, j’ai aussi fait fermenter une dame-jeanne du même, d’environ vingt-cinq à 30 pintes,