Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/54

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de renverser cet ordre de choses ; aidé du secours puissant de l’habitude, il est parvenu à triompher, en quelque sorte, de la nature. Mais ce triomphe ne s’obtient souvent qu’après une lutte assez longue, et il n’est jamais si complet que celle-ci ne revendique de tems en tems ses droits.

C’est ainsi que nous voyons les chevaux et autres animaux domestiques qu’on retire des pâturages, pour les mettre à la nourriture sèche, languir le plus souvent, pendant un tems plus ou moins long, avant d’être, en quelque sorte, façonnés à ce nouveau régime ; combien même périssent victimes de cette subversion des lois de la nature.

Cette sorte de transmutation, s’il est permis de s’exprimer ainsi, pourroit être beaucoup moins pénible, et ses victimes seroient incontestablement moins nombreuses, au moyen de quelques modifications bien faciles dans le passage, entre deux régimes aussi diamétralement opposés : mais ces précautions tiennent à des connoissances qui, toutes simples qu’elles sont, n’en sont pas moins ignorées de tous les herbagers ou de ceux qui achettent d’eux les animaux, pour les mettre dans le commerce, comme cela arrive presque toujours ; au lieu de s’occuper des moyens préservatifs dont l’effet est ordinairement sûr, on laisse le mal se développer, puis on cherche un remède parmi les moyens curatifs qui trompent si souvent la confiance de ceux qui les emploient.

On ne peut douter que le plus efficace de tous, celui évidemment indiqué par la nature, ne soit de ramener pour un tems, à la nourriture verte, les animaux affaiblis, émaciés par le régime sec auquel on les a fait passer. Les effets de l’herbe verte sur les chevaux peuvent, sous ce rapport, être comparés aux effets du lait qu’on donne aux hommes attaqués d’épuisement et de consomption.

Indépendamment de l’effet direct que produit la nourriture verte sur la constitution des animaux, il en est un indirect qui n’est pas moins puissant : c’est celui du repos dont jouissent les animaux, pendant tout le tems qu’on les tient au verd. On ne connoît pas plus de gradations dans l’exercice des chevaux que dans leur régime : pour les dix-neuf vingtièmes des hommes qui les emploient, un cheval doit toujours faire ce que fait un autre cheval, qu’il soit jeune ou vieux, qu’il sorte de l’herbage, où il n’a pris qu’une nourriture aqueuse et molle, de chez le marchand qui l’a bourré de son, ou de la culture, ou des charrois, en un mot qu’il ait ou n’ait pas de vigueur, qu’il soit ou ne soit pas en haleine : tout cela leur est égal : il faut qu’il fournisse sa journée comme un cheval adulte, robuste et exercé ; la lenteur de ses mouvemens, la sueur qui bientôt couvre son corps, sont des indications perdues pour le charretier qui n’y voit que des symptômes de lâcheté et un prétexte pour mettre en jeu son fouet implacable. On imagine aisément combien de chevaux doivent être