Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/72

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des hommages divins, en étoient les gardiens et les protecteurs : la gaîté et la liberté ; la cueillette des fruits étoit une véritable fête ; les vergers, en un mot, étoient le luxe de nos aïeux, avant que l’art ou la mode des jardins symétriques fût connu, et sur-tout avant que les villes, si rapidement formées et agrandies au dix-septième et dix-huitième siècles, eussent fait perdre les charmes et la simplicité de la vie champêtre.

Les vergers cependant ne remontent pas à une époque bien éloignée. Les Romains, après leur invasion des Gaules, avoient bien introduit quelques arbres étrangers aux climats de ces contrées ; ils étoient même venus à bout d’en naturaliser avec succès ; mais, à peine les empereurs de Rome cessèrent-ils de gouverner exclusivement, ces essais des Romains cultivateurs disparurent, ou ils furent tellement inconnus, qu’il ne resta aucune trace de ces bienfaits.

Les Francs et les nations barbares qui ravagèrent les Gaules, jetèrent par-tout l’épouvante et la terreur ; les guerres civiles ensuite, les persécutions politiques et religieuses, prolongèrent la misère, l’ignorance et l’effroi des peuples.

Sous les premiers rois de France, les arbres fruitiers étoient encore très-rares ; et on a toujours cité, comme une chose curieuse, le verger que Charlemagne possédoit à Paris, dans lequel étoient des sorbiers, noisetiers, châtaigniers, pruniers, pommiers et poiriers. Il n’y avoit alors que le roi qui possédât une telle réunion d’arbres ; et on ne doute plus de leur rareté quand on se rappelle que Venance, évêque, étant à Tours, envoya, en 606, comme un présent mémorable, à sa mère et à ses sœurs qui étoient à Poitiers, des châtaignes et des prunes sauvages.

Le verger de Charles V, à l’endroit où est aujourd’hui le jardin des plantes de Paris, est aussi cité dans l’histoire comme une chose extraordinaire. Il étoit composé de cerisiers, pommiers et poiriers. On y attachoit tant de prix, que dans l’inventaire de son palais, on désigna le nombre de chaque espèce d’arbres. On peut donc dire que depuis l’invention des Francs, il s’est écoulé plus de dix siècles sans qu’il y ait eu de changemens considérables pour la culture des arbres à fruit.

La renaissance des lettres sous François I.er est aussi l’époque de la renaissance de la culture des arbres à fruit. Ce prince, en donnant aux arts une heureuse impulsion, ne dédaigna pas de s’occuper de la culture des arbres. Il en fit venir des pays étrangers ; il fit recueillir des renseignemens sur les diverses manières de les cultiver en Italie. Il encouragea les livres sur l’agriculture ; mais ceux qui écrivirent, comme ceux qui travaillèrent, au lieu de s’attacher à observer et à imiter la nature, se livrèrent à tous les écarts de l’imagination, et des plus absurdes préjugés : ils voulurent presqu’imiter les architectes de la cour, qui n’ornoient les maisons royales que par des monstres bien horribles, en donnant aux arbres des formes