Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/74

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goire (de Tours) avoit possédé plusieurs romains, ou italiens éclairés, et qui avoit eu constamment dans son voisinage des maisons royales, avoit déjà éprouvé d’heureux progrès par la culture des arbres à fruit ; mais c’est aux travaux, au zèle de du Bellai, au civisme ardent de Belon, qu’elle est redevable de l’immensité d’arbres à fruit de toutes espèces qui couvrirent son sol, et qui lui méritèrent le beau surnom d’être le jardin de la France.

Ce n’étoit encore dans ces riches contrées que des vergers dont le nombre, les sites et les espèces d’arbres présentoient un aspect ravissant ; l’observation des abris, sans être réduite en méthode, existoit déjà : les arbres printaniers et délicats étoient toujours comme on les voit encore aujourd’hui à l’abri du Nord par d’autres arbres plus grands et plus tardifs, et c’est véritablement de la Touraine et de l’Anjou que se sont répandus dans le reste de la France tous les arbres à fruits qui furent plantés en vergers.

Il étoit réservé au siècle de Louis XIV de faire sur-tout une révolution. Le célèbre Laquintinie, sans abjurer tout-à-fait les erreurs ou le goût du siècle précédent, pour la direction des formes, les secrets à employer et l’influence des astres, créa l’art du jardin symétrique, et bientôt la cour donna le ton aux campagnes ; les vergers n’étant plus de mode, furent bientôt abandonnés, et s’il s’en forma, ce ne fut plus que dans les métairies ou dans des lieux inaccessibles à l’influence des novateurs.

Je suis bien éloigné de donner une préférence exclusive aux vergers sur les jardins. J’admire les effets de l’art par lequel, malgré les rigueurs et l’inconstance des saisons, on jouit de fruits exquis et variés ; c’est un véritable triompha de l’homme que de savoir devancer ou retarder la marche de la nature, de répartir une heureuse abondance de fruits, en proportion des arbres, et de faire croître avec succès des arbres le long des murs, en réunissant tant d’utilité à tant d’agrément ; c’est encore une belle conception que de savoir tellement maîtriser les élans de la sève, que de pouvoir à son gré en déterminer les formes selon les lieux et en arrêter de même la croissance. L’homme qui observe les lois de la nature sera toujours étonné de voir croître et prospérer certains arbres dont la hauteur ne surpasse pas celle de beaucoup de plantes légumineuses au milieu desquelles ils croissent.

Mais j’exprimerai de justes regrets sur la proscription des vergers, puisque c’est par cette seule manière qu’on peut avoir de grands arbres à fruit, dont l’utilité est aussi à considérer. Les arbres des vergers sans doute ne donnent pas des fruits aussi perfectionnés que ceux des espaliers, pour lesquels l’art semble avoir assujetti la nature à donner en perfection de fruits, ce qu’ils perdent en développement de la sève : mais ils sont moins sujets aux rigueurs des saisons, parce qu’ils sont plus tardifs ; les espaliers durent peu : les