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vergers peuvent durer un siècle et davantage ; les premiers sont plus sujets aux maladies, aux accidens, en cela, au moins, l’art paye un tribut à la nature ; les seconds, bien soignés dans leur jeunesse, croissent en massif, se servent mutuellement d’abri contre les vents, les pluies, les froids et les orages, sont vigoureux, bravent les saisons, les insectes et les plantes parasites.

Je ne veux point par un sentiment de prédilection pour les vergers, donner une préférence positive pour le goût, la beauté, les formes et l’éclat, aux fruits des arbres en verger ; mais au moins on avouera que quand on les laisse parvenir à un juste point de maturité, que quand on prend quelque précaution pour les cueillir, ils sont aussi très-bons, souvent même ils ne le cèdent pas pour la beauté de la couleur ; quant à la durée, elle est incontestablement en faveur des arbres en plein vent, sur-tout pour les pommiers et poiriers pour lesquels l’aspect du midi n’est pas favorable à la durée de leurs fruits.

Il en existe cependant encore des vergers, et leur vue réjouit toujours ceux qui attachent du prix à la multiplication des arbres à fruits ; quels plus beaux paysages peut-on voir que ceux qu’offrent les vergers de la ci-devant Normandie ou ils sont communs et encore bien étendus ? Il en existe aussi dans les départemens du centre, surtout dans ceux de l’Allier, du Cher, du Puy-de-Dôme et Cantal : c’est des vergers de ces derniers qu’il descend chaque année des batteaux de pommes, les dernières qui se vendent à Paris. On en voit quelques-uns encore dans d’autres départemens, mais les propriétaires riches et aisés ne s’en occupent pas, ils les laissent dépérir ou ruiner par leurs colons. Beaucoup de propriétaires à qui on ne peut refuser le nom de bourgeois, espèces d’hommes mettant leur gloire à ne rien faire en agriculture, et souvent à empêcher les autres de faire, ces individus, dis-je, ne s’occupent que de quelques arbres en espaliers pour lesquels ils dépendent d’un jardinier bannal et quelquefois très-ignorant, et ce qui est presque comique, c’est que dans l’opinion de ces espèces de propriétaires, les espaliers sont pour eux des signes de luxe et de bourgeoisie, et ils abandonnent les arbres à haute tige à leurs métayers.

On voit dans beaucoup de pays cependant élever des arbres à fruit ; mais presque par-tout on les plante en allées, cette forme paroît commandée pour les routes, mais les arbres en sont bien plus sujets aux accidens des intempéries : en massif, ils se préserveroient beaucoup mieux, c’est une vérité que tous les départemens de la ci-devant Normandie n’éprouvent que trop souvent ; l’idée des vergers ailleurs est presque disparue : elle n’est presque plus qu’une idée romantique et pastorale.

On auroit dû espérer cependant en voyant se former tant de jardins anglais, qu’on formeroit aussi des massifs d’arbres à fruit, et qu’à côté des chaumières ou villages postiches on feroit voir ou apper-