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perles. En effet, les écailles de ce poisson ont l’éclat et la couleur de la nacre de perle, et l’art parvient à les façonner de manière qu’elles imitent parfaitement les plus belles perles que l’on pêche avec tant de peines et de dangers dans les mers des Indes-Orientales, et qui sont d’une grande valeur. C’est la seule occasion où la médiocrité dans la fortune soit parvenue à rivaliser avec la richesse, et que la beauté modeste ait pu environner ses charmes du même éclat étranger qui sembloit réservé à la parure des femmes opulentes. Mais, comme le luxe orgueilleux ne respire souvent qu’après des jouissances exclusives, il a fini par dédaigner un ornement partagé en apparence ; et c’est probablement à cette sorte de dépit qu’il faut attribuer la diminution de l’emploi et du commerce des perles vraies, d’où est résulté beaucoup moins d’activité dans la fabrication des perles fausses.

Cependant, quoique le commerce des fausses perles soit tombé, il ne laisse pas d’être encore de quelqu’importance. C’est à Paris que se trouvent les meilleurs ouvriers en ce genre, et ils y sont en assez grand nombre ; c’est de Paris que les marchands des autres nations tirent cette parure, quand ils veulent l’avoir très-belle. D’ailleurs, il ne faut qu’un moment pour que la mode, déesse volage de fantaisies et d’inconstance, ramène parmi nous le goût de cette espèce d’ornement ; en sorte que, dans tous les cas, la pêche de l’able est plus ou moins profitable, et mérite l’attention de ceux qui, étant à portée des eaux où ce poisson abonde, ont la faculté de s’y livrer.

Les pêcheurs de Paris et des environs vendent les ables telles qu’ils les prennent, et les pinailleurs qui font le commerce des fausses perles se chargent des premières préparations. Mais, lorsqu’on est éloigné, il faut être en état de préparer soi-même les écailles des ables, et même d’en tirer la matière nacrée que l’on a décorée du nom pompeux d’essence d’Orient, parce qu’elle sert à remplacer les perles orientales. Il n’est pas inutile de remarquer que cette dénomination manque de justesse, puisque cette prétendue essence n’est point, à proprement parler, une liqueur ; elle est plus épaisse que l’huile, et, en l’examinant au microscope, on y distingue des parties solides, mais très-minces, très déliées, et d’une figure régulière.

Si l’on ne veut que préparer les écailles pour les livrer aux émailleurs, il suffit de laver les ables à deux ou trois reprises, dans de l’eau claire, et de les racler avec un couteau peu tranchant au dessus d’un baquet rempli d’eau très-pure. Quand le couteau est chargé d’écailles, on l’agite dans l’eau du baquet pour qu’elles se précipitent au fond, sans les toucher avec les doigts. On les verse ensuite sur un petit tamis très-fin, que l’on plonge plusieurs fois dans de l’eau bien nette ; quand les écailles sont nettoyées et que l’on en a une certaine quantité, on les enveloppe d’un linge fin que l’on presse bien, pour en exprimer toute l’eau, puis on les verse, dans un pot de terre, en les faisant couler avec un linge fin et mouillé qui sert aussi à les presser ; si le pot n’est pas plein, on le remplit avec des chiffons ; on le couvre d’un linge fin, et par dessus d’une toile cirée. On envoie, le plus tôt possible, aux émailleurs, les écailles ainsi arrangées ; gardées trop long-temps elles se corromproient. Quelques gouttes d’ammoniaque (alcali volatil) sur les linges qui remplissent le pot contribuent puissamment à retarder la putréfaction. Il est bon d’ailleurs de tenir le pot dans un lieu frais, et, s’il gèle, dans du foin.

Quatre mille ables de toutes grosseurs produisent communément une livre d’é-