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activité, et souvent avec une nouvelle industrie.

Mais ces disettes sont bien plus préjudiciables au Gouvernement et aux autres professions, que le bas prix des grains ne leur a été avantageux.

Ces professions, dans la crainte de manquer de subsistances, sont détournées de leurs occupations ordinaires, pour chercher à s’en procurer, et elles ne peuvent y parvenir, sans de grands sacrifices pécuniaires. D’ailleurs, toutes les bourses se resserrent dans ces temps de calamité, le commerce et les arts languissent, et la misère est générale.

De son côté, le Gouvernement se trouve nécessairement embarrassé dans ces malheureuses circonstances. Les esprits sont en fermentation, et la crainte de la famine excite des murmures, et occasionne trop souvent des excès qu’il n’ose pas réprimer entièrement. Ces excès produisent toujours un relâchement dans l’ordre social, qu’il a le plus grand intérêt d’empêcher ou au moins de prévenir.

Pour y parvenir, le Gouvernement est obligé d’acheter des grains chez l’étranger, qui lui coûtent fort cher, et sur lesquels il perd d’autant plus, que les secours, à cause de notre grand éloignement des marchés étrangers, arrivent presque toujours trop tard, et lorsque le danger est passé.

Le sol de la France est d’ailleurs si fertile, que, de même que l’avilissement dans le prix des grains y occasionne les disettes, de même leur prix très-élevé y prépare la plus grande abondance ; en sorte qu’on y voit les grains tomber presque subitement du prix le plus élevé au prix le plus bas, et s’élever aussi promptement du prix le plus bas au prix le plus élevé.

Le premier effet est produit par les efforts de toutes les classes de cultivateurs qui, dans les années de disette, se livrent uniquement à la culture des subsistances. On défriche les terrains incultes ; on retourne les prairies artificielles ; on abandonne momentanément la culture des plantes huileuses et colorantes ; on ensemence toutes les terres en céréales et en légumes farineux ; et, si la saison qui suit ces empouilles est favorable à leur végétation, on passe alors de la famine à la plus grande abondance.

Quant au second effet, une simple gelée peut le produire. L’année 1764 nous en fournit un exemple.

Depuis 1759 jusqu’en 1764, les récoltes avoient été successivement abondantes, et, au commencement de 1764, les grains étoient à vil prix. L’année 1764 elle-même présentoit encore l’apparence d’une belle récolte, lorsqu’une gelée tardive vint attaquer les grains en fleurs. On s’aperçut de l’accident, les inquiétudes se manifestèrent, gagnèrent toutes les classes de la société, et les grains triplèrent de prix sur-le-champ.

De cet examen, nous conclurons que la situation la plus favorable à la prospérité de la France est celle qui peut annuellement offrir à ses nombreux habitans des subsistances à un prix moyen, analogue à celui des autres produits de l’industrie nationale, puisque les années d’abondance y préparent les disettes, et que les disettes peuvent y occasionner des maux incalculables.

La vérité de ce principe, de l’administration publique de la France, a été particulièrement sentie au commencement du règne de Louis xiv.

Il y eut une disette réelle ou factice de subsistances, qui fut le prétexte d’émeutes, et ces émeutes, réprimées d’une main foible, ébranlèrent les fondement de la machine politique.

On n’a jamais cru à la réalité de cette disette, car les révoltés arrêtoient les subsistances pour les gaspiller.

D’un autre côté, la France présentoit