Aller au contenu

Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

excessives, il arrive souvent que les anguilles contractent une maladie contagieuse, dont les symptômes extérieurs sont des taches blanches, semées en grand nombre sur leur corps. L’on ne connoit pas de remède assuré contre cette maladie ; il est bon de jeter dans les réservoirs du sel avec beaucoup de stratiote aloïde, (stratiotes aloïdes L.) plante qui croît au fond des canaux et des étangs, dans les parties septentrionales de l’Europe, et que l’on nomme communément ananas d’eau, parce que ses feuilles ressemblent à celles de l’ananas. Il seroit également avantageux de multiplier cette plante dans les étangs ou les viviers où l’on entretient des anguilles ; ce seroit un moyen de prévenir les maladies dont elles sont attaquées, et qui, en les faisant périr, occasionnent des pertes considérables aux propriétaires de ces profitables amas d’eau. On voit quelquefois les anguilles, à la suite d’un dérangement trop brusque ou mal combiné, remonter vers la superficie de l’eau, s’agiter, tournoyer, entier d’un bout à l’autre du corps, se flétrir par degrés, devenir blanches, et perdre la vie. Des vers rassemblés en trop grand nombre dans leurs intestins leur causent aussi des maladies, et la mort.

Si l’on veut avoir à sa disposition une grande quantité d’anguilles, on leur consacrera un étang ou un vivier particulier, que l’on nomme anguillère, et dont on réglera l’étendue sur le nombre de ces poissons qu’on veut y entretenir ; mais plus il sera spacieux, plus il sera convenable. Il doit, être ombragé en partie, et son fond sera de sable ou de marne, avec quelques endroits bourbeux, dans lesquels les anguilles se retirent pendant l’hiver. La nourriture qu’on leur donnera consistera en débris de cuisine, eu entrailles de toutes sortes d’animaux, en fruits, en glands concassés, en marc de raisins, etc., etc., etc. Elles sont très-friandes des fruits du hêtre et du cormier.

Les étangs de Comachio, près de Venise, sont des anguillères naturelles, d’un rapport considérable ; et les habitans y font le commerce d’anguilles dans toute l’Italie. C’est, au rapport de M, l’abbé Spallanzani, (Voyages dans les Deux-Siciles, T. VI, p. 141 et suiv., de la traduction élégante de M. Toscan,) une lagune de cent trente milles de circonférence, divisée en quarante bassins entourés de digues, qui tous ont une communication constante avec la mer. Les eaux de ces divers bassins éprouvent le flux et le reflux de la mer Adriatique, s’épurent dans une agitation continuelle, et se débarrassent des herbes, des roseaux, et de tous les corps étrangers qui viennent flotter à leur surface. Les anguilles affluent dans ces bassins aussitôt après leur naissance ; elles ne cherchent plus à en sortir jusqu’à ce qu’elles soient adultes. La pêche de la lagune de Comachio est tellement abondante, qu’elle fait l’unique occupation d’un grand nombre d’hommes qui vivent constamment au milieu de leurs marais. Pour faire juger de l’importance de cette pèche, M. Spallanzani dit que, dans le bassin de Caldirolo, qui a soixante milles de circonférence, il a vu prendre, en une seule nuit, vingt mille livres (de douze onces) pesant d’anguilles ; ce qui est encore peu, ajoute le même observateur, en comparaison d’une pêche de soixante deux mille cinq cents livres qui se fit quelques années auparavant dans le même bassin, et dans le même espace de temps.

Ces pêcheurs ont remarqué que les anguilles ne se mettent jamais en route quand la lune se montre, quelle que soit sa phase ; et si la lumière de cet astre les surprend pendant qu’elles cheminent, elles s’arrêtent aussitôt, et atten-