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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/238

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dont elle est imprégnée, et à la difficulté avec laquelle les estomacs délicats la digèrent, qualités qui deviennent peut-être, plus remarquables dans les climats chauds, qu’il faut attribuer la répugnance de plusieurs nations pour cet aliment. Il étoit interdit aux anciens habitans de l’Égypte ; les règlemens de Numaa ne permettaient pas de le servir dans les sacrifices, sur les tables des Dieux ; le législateur des Hébreux l’avoit proscrit comme immonde ; et les Mahométans, qui ont adopté plusieurs points du régime diététique des Juifs, n’en font jamais usage ; ils appellent l’anguille, par manière de reproche et de dédain, nazarina, ou le poisson des Chrétiens. Mais, les défenses de quelques législateurs, ni les préceptes de l’hygiène, n’ont pas empêché de rechercher généralement l’anguille, et de la présenter sous différens apprêts, dans les repas et les banquets même les plus somptueux.

On retire encore quelque parti de la dépouille de ce poisson ; sa peau, souple, transparente, et de forte consistance, s’emploie à plusieurs usages, et fait l’objet d’un petit commerce dans les grandes villes. Dans quelques pays elles remplacent les vitres des fenêtres ; dans d’autres, on en fait des liens assez forts, et les cultivateurs s’en servent pour attacher leurs fléaux, de préférence aux lanières du meilleur cuir ; une calotte de cette peau passe pour entretenir les cheveux et les empêcher de tomber ; beaucoup de gens attachent, dans la même intention, leurs cheveux avec un cordon de peau d’anguille. On a attribué aussi à la graisse de l’anguille plusieurs vertus médicinales qui ne sont point constatées. Mais ce que j’ai dit des propriétés réelles de ce poisson suffit pour se convaincre qu’il a dû devenir, et qu’il est devenu en effet l’objet d’une pêche dont on concevra toute l’importance dans nos contrées, lorsque l’on saura que la seule ville de Paris consomme annuellement près de six cents quintaux d’anguilles fraîches.

Pèche de l’anguille. La nature n’a pas disposé en plusieurs endroits de vastes amas d’eau semblables aux marais de Comachio, et dans lesquels les anguilles viennent se rendre spontanément en nombre prodigieux, et donner lieu au ces grandes pêches dont il a été question plus haut. On est généralement obligé de les chercher dans des lieux où elles ne sont rassemblées qu’en plus petit nombre, et même dans ceux ou elles sont éparses. De là sont résultées plusieurs méthodes plus ou moins industrieuses de les pêcher.

La plus simple de toutes est la pêche à la main ; elle ne peut guères être pratiquée que dans les petites rivières, ou dans les étangs qui abondent en anguilles ; encore est-elle dédaignée par les pêcheurs de profession, parce qu’on n’y prend que de petites pièces, les grosses échappent à la main qui les saisit. Quoi qu’il en soit, celui qui veut faire cette pêche doit se dépouiller de ses vêtemens, entrer dans l’eau, ou se coucher sur le bord, ou se mettre dans un petit bateau et chercher les anguilles sous les pierres, dans la vase et dans les trous où elles se cachent ; mais souvent la main du pêcheur est cruellement mordue par l’anguille qui ne lâche jamais prise.

Une autre pêche, fort simple, consisté à parcourir les étangs dont on vient de vider l’eau, les mares dans lesquelles le débordement d’une rivière a amené le poisson, et qui commencent à se dessécher, les plages vaseuses de la mer ; à remarquer les endroits où les anguilles se sont enfoncées, et qu’on reconnoît aux trous qu’elles ont formés, et dont l’ouverture est évasée comme celle d’un entonnoir ; à faire sortir ces poissons