Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/293

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se transforment plus en mouches pour s’envoler des greniers ; les égagropiles, cet effet de la nature, ne sont plus celui des gobbes données par la malveillance aux animaux ; la carie, cette maladie contagieuse pour le froment, n’est plus l’ouvrage des brouillards ou des insectes ; les champignons, les truffes, ne sont plus des jeux de la nature ; organisés comme les autres plantes, ils croissent a leur manière, vivent et meurent ; enfin, l’homme ne croit plus sa dignité compromise, en se nourrissant de pommes de terre, de patates, et de topinambours. Insensiblement, grâces aux progrès de la philosophie, la nature se justifie tous les jours des accusations qu’on formoit contre elle ; mais que de maux imaginaires ne lui prête-t-on pas encore ! Combien de jugemens portés ou admis sans examen, d’opinions perpétuées, sans avoir été approfondies, sans avoir comparu auparavant au tribunal de l’expérience et de la raison !

Les médecins conviennent assez généralement aujourd’hui que les odeurs des végétaux ne sont que les émanations de leurs parties les plus subtiles, et qu’elles varient autant que les effets qu’elles opèrent dans l’économie animale. Cependant ces effets qui supposent les nerfs actuellement doués du mouvement vital, ne peuvent plus avoir lieu sur les corps organisés, privés de ce même mouvement.

Comment donc a-t-on pu croire jusqu’à présent, que l’odeur de l’aubépine, par exemple, étoit capable d’agir assez puissamment sur le maquereau pour le faire tourner en un instant, c’est-à-dire pour lui donner un état approchant de la putréfaction ? ce qui oblige, ajoutet-on, les voituriers de marée, pour conserver le poisson qu’ils apportent, à ne pas passer sur les chemins où ces arbrisseaux sont en fleurs. Auparavant que quelques auteurs se missent en frais pour chercher à expliquer ce phénomène, et dans la crainte de voir renouveler encore l’histoire de la dent d’or, j’ai voulu m’assurer si le fait étoit vrai. Voici les expériences que j’ai tentées dans cette vue.

Après avoir rempli plusieurs vases de branches d’aubépine à demi-fleurie, et placé ces vases dans un cabinet petit et exactement clos, nous portâmes, le lendemain, dans ce lieu parfumé, deux maquereaux très-frais, et nous les y laissâmes environ une demi-heure. Au bout de ce temps, ils ne parurent pas avoir éprouvé d’altération ; leur surface étoit toujours recouverte de ce beau bleu luisant, verdâtre et argentin, qui caractérise la bonté et la fraîcheur de ce poisson. Ils furent accommodés avec leurs pareils, et mangés sans qu’on s’apperçùt entre eux de la plus légère différence. Cette expérience ne m’avant point paru suffisante, et pour connoître davantage la propriété de l’aubépine, nous allâmes dans un bois, et nous fîmes plusieurs tours au milieu d’une allée d’aubépines, ayant deux maquereaux à la main. Nous les laissâmes ensuite sur un de ces arbrisseaux le mieux fleuri, pendant une demi-heure, et, après cela, ils furent portés à la cuisinière, qui n’y trouva aucune différence, ni nous non plus.

Pour n’avoir plus aucun doute à ce sujet, nous nous procurâmes, de très-grand matin, beaucoup de fleurs d’aubépine, et, après les avoir mondées et mises dans un bain-marie d’un alambic, nous y ajoutâmes un demi-setier d’eau, et distillâmes avec les précautions requises ; la liqueur chargée de l’esprit odorant de la fleur d’aubépine, appliquée sur les maquereaux, ne produisit nul effet, et les personnes qui les mangèrent les trouvèrent excellens.

Il est facile de voir, d’après ces résultats, que c’est à tort et très-injustement