Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/309

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qu’ils en préparent avec tous les grains qu’ils sèment, toutes les racines qu’ils cultivent, et tous les fruits qu’ils recueillent.

Les moyens dont on se sert pour conserver la batate, sont de deux sortes : le premier consiste à laisser les tubercules en terre, sans les déraciner ; il s’agit, pour le second, de les tirer de terre et de les porter dans un endroit sec et frais, à l’abri de l’air extérieur ; car, si l’endroit est humide, les batates s’échauffent, fermentent, ou bien elles germent, pourrissent, et quoiqu’elles soient saines et sans tache, la pourriture s’en empare.

Dans nos climats, les batates se gardent difficilement, à cause des longs hivers, souvent plus humides que froids ; il faut les étendre sur des planches couvertes de deux pouces de sable fin, dans un endroit inaccessible à la gelée, et les recouvrir d’un autre lit de sable de même épaisseur, en les arrangeant de manière qu’elles ne se touchent point. On apporte continuellement de L’Amérique dans nos ports des batates bien conservées, mises avec des cendres le jour qu’elles ont été récoltées, dans des tonneaux, aux fonds desquels on pratique plusieurs trous de l’arrière pour y établir un courant d’air.

Usage des bâtâtes pour l’homme. Privés de la quantité de batates qu’il falloit pour vérifier par nous-mêmes, et en grand, s’il étoit possible, en leur appliquant le procédé de la panification des pommes de terre, d’en préparer du pain et du biscuit de mer, sans mélange d’aucun autre farineux, nous n’avons pu nous livrer à ce genre d’essai ; mais le vœu, que nous avons émis pour que ce travail fût suivi dans nos colonies, a été accompli par M. Gérard, médecin au Cap Français. Ce nouveau triomphe de la chimie utile y a été marqué par les transports de la plus vive allégresse. On a trouvé le pain de batate, adressé au ministre de la marine, fort bon. Depuis ce moment, M. Delahaye a fait aussi une heureuse application du même procédé à des substances farineuses qu’on n’avait pas encore osé produire sous cette forme, telles que les ignames, les tayoves, les bananes et les giraumons ; et il a obtenu les mêmes succès.

Les batates, comme les pommes de terre, réunissent tant de bonne qualités en substance, qu’il n’est pas nécessaire de les décomposer à grands frais pour les soumettre ensuite aux tortures de la boulangerie, et leur concilier les propriétés d’une nourriture agréable, saine et commode : ce sont bien les racines les plus exquises que l’on connoisse. Toutes les relations des voyageurs ne tarissent point sur son compte. Le Père Labat, entr’autres, dit qu’on estime cette piaule si agréable et si salutaire, qu’il est passé en proverbe, que ceux qui reviennent en Europe après avoir mangé des batates, retournent aux îles pour en manger encore.

Les cultivateurs espagnols qui sont pauvres, mangent les batates, tantôt crues et sans apprêt, tantôt cuites dans l’eau ou sous les cendres : les plus aisés et les moins paresseux en préparent des mets délicieux. Ils coupent les racines par tranches qu’ils assaisonnent de vin, d’eau rose, de sucre et de cannelle, ou bien de vinaigre, d’huile, etc.

Quelquefois, lorsqu’elles sont nouvellement récoltées, on les confit dans du sucre pour s’en servir au besoin : souvent aussi on les fait sécher à l’air libre avant qu’elles ne commencent à se gâter, les batates, en un mot, peuvent se prêter à toutes les formes que le luxe de nos tables a imaginées.

Dans les colonies, on mange la batate bouillie simplement avec du sel ou avec un peu de viande salée ; on la rôtit sous la cendre et au four : on l’écrase pour en faire, avec du beurre ou du saindoux,