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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/329

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Il existe une autre méthode de fondre le beurre, que beaucoup de personnes préfèrent, parce qu’elle entraîne moins d’embarras, et n’exige pas autant de soins : il est question d’exposer le beurre au four après que le pain en est retiré. Pour cet effet, on emploie tout simplement des pots de terre ; le beurre se fond insensiblement, et du soir au lendemain matin, on le retire, on l’écume et on le laisse se refroidir.

Par ce procédé, le beurre n’est souvent pas assez dépouillé de son humidité surabondante ; il est mal écumé ; la dépuration de la matière caséeuse ne s’opère pas complètement, sur-tout celle qui se précipite au fond des vases : le hasard fait tout, et l’attention rien. Alors la provision ne réunit pas une des conditions essentielles, celle de se conserver longtemps et en bon état. Une pareille méthode ne peut donc satisfaire les ménagères éclairées, qui aiment à juger par elles-mêmes, à soigner leurs opérations, et à veiller à leurs approvisionnemens : elle ne favorise que la routine et la paresse.

Un troisième moyen est encore pratiqué pour fondre le beurre, sans qu’il soit nécessaire d’employer la chaleur de l’ébullition : il nous a été communiqué par M. Boysson. Ce moyen consiste à tenir le beurre en liquéfaction pendant un certain temps au bain-marie, et à le verser ensuite par inclinaison dans des pots de terre. La matière caséeuse, en se déposant, entraîne avec elle une portion de beurre : pour l’en séparer entièrement, on ajoute au dépôt une quantité proportionnée d’eau bouillante, et on remue un instant le mélange ; après quoi on le laisse en repos jusqu’au parfait refroidissement. Le beurre vient surnager à la surface du liquide, d’où on le retire facilement lorsqu’il est entièrement figé. On mêle à ce beurre à demi-figé une quantité proportionnée de sel séché et parfaitement égrugé ; et, lorsque son refroidissement est complet, on le met dans des pots dont on couvre la surface d’une légère couche de sel pareillement pulvérisé. Ce beurre, fondu et salé en même temps, s’exporte au loin sans se détériorer.

Peut-être le procédé pour fondre le beurre devroit-il être adopté plus généralement, dans les endroits sur-tout où l’on attend, pour battre la crème, qu’il s’en trouve assez de rassemblée sur le lait, comme dans les fabriques de fromages, où la crème ne se lève que tous les douze à quinze jours. En faisant éprouver un certain degré de cuisson à ce beurre, on corrigeroit sa propension à rancir, et, en le salant, ou masqueroit le petit goût fort qu’il pourroit déjà avoir contracté, ce qui le rendroit propre encore au commerce.

Quoique le beurre fondu n’ait point éprouvé de décomposition sensible dans sa nature intime, il ne ressemble plus tout à fait cependant au beurre frais : sa couleur, sa saveur, sa consistance, sont pour ainsi dire altérées ; il est devenu transparent, grenu, fade, pâle et analogue à de la graisse. Le feu lui a bien enlevé ce qui concouroit à le faire promptement rancir, mais il a agi en même temps sur le principe de la sapidité et de la couleur. C’est donc à la matière caséeuse du beurre frais que sont dus les changemens qu’il éprouve dans l’opération qui le convertit en beurre fondu. Il se garde comme le beurre salé, et peut remplacer l’huile dans les salades et dans les fritures.

Il n’y a plus de doute que ce ne soit la matière caséeuse nichée dans les interstices du beurre qui contribue à sa prompte altération, puisque, si on l’en dépouille aussi exactement qu’il est possible, il se rancit moins vite ; puisque, quand on pétrit des beurres rances à grande eau, celle-ci devient laiteuse et désagréable,