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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/328

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mestique.) Ce n’est qu’en privant le beurre frais de toute l’humidité qu’il a retenue dans les différens lavages qu’on lui a fait subir pendant sa préparation, et sur-tout en séparant de la matière caséeuse avec laquelle cette huile concrète du lait a plus ou moins d’adhérence, qu’on peut le garantir de sa tendance à perdre plus ou moins promptement sa saveur douce et agréable pour en prendre une tellement âcre et forte, que l’organe du goût le moins exercé peut la découvrir dans une masse énorme d’alimens auxquels une très-petite portion de beurre rance a servi d’assaisonnement. L’addition du sel au beurre est sans contredit un grand moyen de conservation, puisqu’elle met de grandes provisions en état de se garder d’une saison à l’autre, et d’être transportées au loin sans avaries. Mais il existe une autre méthode que pratiquent les ménagères de quelques départemens, et qui n’a pas été décrite par Rozier ; elle mérite cependant de trouver place dans son Ouvrage.

Ce n’est point dans les cantons où on sale le beurre que se prépare le plus ordinairement le beurre fondu : ce dernier paroît rarement dans les marchés ; il est plus connu dans les ménages. Ce sont les femmes qui s’occupent de sa préparation, au moment où cette denrée est moins chère et réunit le plus de qualité. Communément l’automne est choisi de préférence pour former ce genre d’approvisionnement.

La première attention qu’il faut apporter ici consiste à ne pas attendre que le beurre que l’on a intention de fondre soit ancien, parce qu’il auroit pu contracter, en très-peu de temps, un état voisin de la rancidité, que la chaleur nécessaire à cette opération ne parviendroit jamais à lui faire perdre entièrement.

Pour y procéder, on prend un chaudron de cuivre jaune, extrêmement propre, et d’une capacité proportionnés à la quantité de beurre qu’on veut fondre ; on a soin que le feu auquel il est exposé soit clair, égal, modéré, et d’éviter, autant qu’il est possible, la fumée, qui, en léchant la surface du beurre fluide et chaud, pourroit s’y combiner et lui communiquer un goût désagréable.

Au moyen d’une chaleur douce et uniforme, le beurre se liquéfie très-facilement, et dès qu’il commence à frémir, il ne faut plus le perdre de vue. On l’agite pour favoriser l’évaporation de l’humidité, empêcher qu’il ne monte, et enlever à la matière caséeuse interposée dans le beurre, son adhérence, sa fluidité et sa solubilité. Bientôt une portion de cette matière recouvre la surface comme une écume ; on la sépare à mesure qu’elle se forme : l’autre, pendant la liquéfaction, se concrète, se précipite au fond du chaudron, y adhère et présente une matière connue sous le nom vulgaire de grattin, que les enfans aiment de passion.

Dès que cette matière est formée, il faut se hâter de diminuer le feu, car elle se décomposeroit et communiqueroit au beurre une mauvaise qualité ; c’est alors que brille la vigilance active de la ménagère, qui sait parer à temps à cet inconvénient, en s’occupant de dresser son beurre à l’instant où elle apperçoit au fond du chaudron un cercle brun, tirant sur le noir.

Mais la règle la plus ordinaire pour juger que le beurre est parfaitement fondu, c’est que la totalité ait une transparence comparable à celle de l’huile, et que, quand on en jette quelques gouttes sur le feu, il s’enflamme sans pétiller. On achève d’écumer le beurre, et on retire le chaudron de dessus le feu ; on laisse la liqueur reposer un instant, puis on la verse par cuillerées dans des pots bien échaudés et séchés au feu, qu’on recouvre après que le beurre est tout à fait refroidi.