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que ces poissons opèrent par le prolongement et la retraite de leurs lèvres.

C’est vers le milieu du printemps que le frai a lieu dans cette espèce. Les femelles, suivies chacune par plusieurs mâles, déposent leurs œufs dans les eaux dormantes et dans les endroits couverts de beaucoup d’herbes. Si ces poissons rencontrent alors un batardeau, une grille, ou tout autre obstacle qui barre la rivière ou l’étang, ils ne s’arrêtent point et sautent par dessus. Ces sauts, qui ont servi de modèle aux bateleurs pour faire ce qu’ils appellent le saut de carpe, s’exécutent par le poisson, de la manière que je vais décrire : Il monte d’abord à la surface de l’eau, s’y place sur le côté, recourbe au même instant ta tête et la queue, puis les étend avec une telle vivacité, qu’il peut s’élever à une hauteur de six pieds, franchir l’obstacle, et retomber au delà à une distance égale à celle d’où il s’est élancé.

Une pareille force musculaire est l’indice d’une vie capable de résister aux accidens, aussi bien qu’aux effets lentement destructeurs du temps ; celle de la carpe est en effet de très-longue durée, puisqu’elle passe deux cents ans ; l’on peut transporter ce poisson au loin, soit dans des tonneaux, soit dans des bateaux construits exprès et percés de trous, soit enveloppé d’herbes fraîches, de linges mouillés ou de neige, ce qui réussira mieux si on lui met dans la bouche un petit morceau de pain trempé dans l’eau-de-vie ; soit enfin en prenant les précautions indiquées par Rozier. En Hollande, on le garde dans des caves, suspendu dans un filet en partie rempli de mousse humide, et on l’y engraisse avec de la laitue et de la mie de pain imbibée de lait ; il faut que l’animal ait la tête hors du filet. On peut l’engraisser avec moins d’embarras, en le nourrissant de courge ou d’orge bouillie. C’est aussi peut-être le poisson dont l’accroissement est le plus rapide, quand il trouve à se nourrir largement. J’ai mangé d’une carpe prise dans la Nied, à Longeville, ancienne abbaye de la Lorraine allemande, qui ne pesoit pas moins de quarante livres ; mais ce seroit encore un individu de petite taille, si on le comparoit à quelques carpes d’une grosseur prodigieuse, dont M. Bloch fait mention dans son Histoire des Poissons. « En 1742, dit-il, » on prit une carpe qui étoit grosse comme un enfant, dans le lac Lagau, situé dans le cercle de Sternberg. En 1711, on en prit une à Bifchofshause, près de Francfort-sur-l’Oder, qui avoit deux aunes et demie de long et une aune de large ; elle pesoit soixante-dix livres, et ses écailles étoient aussi grandes que des pièces de vingt-quatre sous… On en prend dans le Dniester, qui sont si grosses, qu’on fait des manches de couteau avec leurs arêtes. La Hongrie offre aussi des carpes de quatre pieds de long, et si grasses, que leur panse paroît garnie de lard. »

Lorsque les carpes sont très-vieilles, elles paroissent couvertes de mousse ; il s’élève d’abord sur leur tête, ensuite le long de leur dos, des excroissances molles et fongueuses qui ressemblent beaucoup à la mousse. Ces excroissances naissent aussi sur les jeunes carpes ; mais c’est alors une maladie souvent mortelle, qui est due à des eaux corrompues, amenées dans les étangs par de fortes pluies, ou par la fonte subite des neiges. Le remède est de renouveler l’eau de l’étang. Une autre maladie dont les carpes sont attaquées, mais qui est rarement dangereuse, a pris le nom de petite vérole, parce qu’elle se manifeste par des pustules entre la peau et les écailles. Si l’on rencontre des carpes atteintes de l’une ou l’autre de ces maladies, on ne doit pas se presser de les manger, leur chair est altérée ; mais pour lui rendre sa qualité, il suffit de laisser ces poissons, pendant quelque temps,