Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/405

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teintes plus foncées que lorsqu’elles habitent des eaux plus claires. Ces poissons éprouvent des modifications encore plus remarquables : il en est qui réunissent les deux sexes, d’autres qui n’en ont aucun ; quelques uns ont la tête d’une forme monstrueuse : mais une variété plus nombreuse est celle que l’on nomme, en Lorraine et en Allemagne, où elle est assez commune, carpe à miroir. Elle est à demi-nue ; le dos et le ventre sont les seuls endroits couverts de deux ou trois rangées d’écailles dorées, et beaucoup plus grandes que celles des carpes ordinaires. Jonston est le premier qui ait fait mention de ce poisson, qu’il a appelé roi des carpes ; et c’est sous cette dénomination que les auteurs qui ont suivi Jonston parlent de la carpe à miroir. Les uns la regardent comme une espèce distincte, et d’autres comme une simple variété. Cette dernière opinion doit prévaloir, parce qu’elle est fondée sur des observations précises qui passent pour constantes dans les pays où l’on connoît la carpe à miroir, et que j’ai été à portée de vérifier moi-même.

Quoique l’on n’alevine les étangs qu’avec des carpes ordinaires, et que l’on ait soin de rejeter, pour cet usage, les carpes à miroir, qui produisent moins, on ne laisse pas de trouver plusieurs de ces dernières au bout de quelque temps. L’expérience inverse a été faite par M. de Custines, dans ses terres situées aux environs de Nancy. Il ne fit peupler un de ses étangs que de petites carpes à miroir, et à la pêche l’on eut des carpes ordinaires, à la vérité moins nombreuses que celles dont on s’étoit servi pour alevin. Il ne peut donc plus rester de doute au sujet de l’identité d’espèce de ces deux poissons, et l’on doit considérer comme résolue une question qui, jusqu’à présent, paroissoit indécise. Un autre fait vient encore à l’appui de ces observations : c’est que, dans le nombre des carpes à miroir que l’on pêche dans les étangs, l’on en voit quelques unes dont le corps entier est dénué d’écailles. J’ai vu, dans la Lorraine allemande, quelques unes de ces carpes entièrement nues ; et un auteur allemand, M. Laven, dit qu’elles ne sont point très-rares en Silésie, où elles sont connues sous les nom de lederkarpfen, c’est-à-dire, carpe à cuir. La cause de ce dénuement entier ou partiel est absolument ignorée ; s’il faut l’attribuer à une maladie, il sera difficile d’expliquer comment ce poisson ne paroît pas en souffrir, et que, loin de maigrir ou de se vicier, sa chair est, au contraire, plus grasse, plus ferme, et de meilleur goût que celle des carpes ordinaires.

La carpe que l’on distingue par la dénomination de carpe saumonée, n’est qu’une carpe commune dont la chair a contracté, par des circonstances locales, une teinte rougeâtre analogue à celle du saumon.

De toutes les plantes aquatiques dont les carpes composent leur nourriture, avec les insectes, les coquillages, le frai de poisson, et même la pâte limoneuse formée par la décomposition des herbes du fond des étangs, celle que ces poissons préfèrent, et qui leur fait acquérir plus de graisse et un accroissement plus prompt, est la naïade (nais Lin.) Les propriétaires d’étangs ne peuvent mieux faire que de la multiplier, en la semant dans ceux où elle ne croit pas naturellement. Cette plante, dont la tige est fort longue, flexible et herbacée, n’est point ailleurs inutile quand elle est abondante ; on l’arrache avec des râteaux, et elle fournit un très-bon engrais pour répandre sur les terres.

L’on sait que les carpes font en mangeant un bruit assez fort pour être entendu à quelque distance ; il est produit par la sorte de succion brusque