les chasseurs clandestins, et qu’étayoit une législation odieuse, fut renversée dès les premiers instans de cette grande catastrophe politique, qui ne se présenta d’abord que comme la réformation des abus. Par un des premiers actes de la première Assemblée législative, le droit exclusif de la chasse a été aboli, et tout propriétaire investi de la faculté de détruire ou faire détruire, sur ses possessions, toute espèce de gibier ; enfin une loi du 30 avril 1790, a défendu à toutes personnes de chasser, en quelques lieux et de quelque manière que ce soit, sur le terrain d’autrui.
De ces dispositions législatives, il résulte naturellement l’abolition de la chasse. En effet, l’autorisation exclusive de détruire le gibier sur ses possessions anéantit presque toujours celle de chasser, principalement dans les cantons où les propriétés sont très-divisées. Attendre ou surprendre un animal sauvage sur son champ, le tuer à coups de fusil, ou le prendre dans les pièges, n’est pas chasser. La chasse, quelque simple qu’on la suppose, exige toujours un certain appareil ; on quête le gibier, on le suit, on épie ses remises, on fait souvent beaucoup de chemin pour le trouver. Or, je le demande, comment tous ces mouvemens qui constituent l’exercice de la chasse, peuvent-ils s’exécuter sans traverser le champ d’autrui, et encourir par-là les peines prononcées par les lois ? Donner le droit de chasse à tous, c’est empêcher que personne ne l’exerce ; c’est priver toutes les classes de la société d’un exercice salutaire, d’un amusement utile, de la pratique d’un art dans lequel les Français ont toujours excellé. D’un autre côté, la liberté générale de chasser suppose le libre port d’armes, ce qui, dans une société bien organisée, entraîneroit les plus graves inconvéniens ; ce seroit répandre dans les campagnes des êtres souvent plus malfaisans et plus dangereux que les animaux sauvages dont on voudroit écarter les ravages.
La faculté de chasser me paroît donc devoir être considérablement restreinte. À la campagne, l’homme laborieux la dédaigne, et l’on y connoit toute la dépravation de ces fainéans, évitant le travail, et croyant trouver une ressource dans le produit du braconnage, portant sans cesse les livrées de l’intempérance et de la misère, endurcis aux fatigues comme aux crimes, et qui, après avoir fait le tourment et la perte de leur famille, ne tardent pas à devenir le fléau de la société. Cette faculté ne doit pas être pour cela le privilège d’une classe de citoyens ; mais il me semble que l’on peut, sans danger, l’attribuer de préférence aux deux ou trois plus riches propriétaires de chaque territoire. Ce ne seroit pas, pour ainsi dire, à tel ou tel homme que cette sorte de privilège s’accorderoit, ce seroit un droit inhérent aux grandes propriétés qui, éprouvant assez fréquemment des mutations ou des morcèlemens, le transporteroient à d’autres possesseurs, ou les perdroient par des divisions trop répétées. Ce mode offriroit d’ailleurs une garantie nécessaire pour tous les dommages et toutes les pertes qu’il pourroit occasionner sur les possessions étrangères, dont les propriétaires conserveroient la liberté conforme au droit naturel, aussi bien qu’au droit des gens, de détruire ou faire détruire sur leur terrain toute espèce de gibier. Sous une autorité tutélaire, la garantie qui assureroit les produits du travail du pauvre, ne deviendroit point illusoire ; elle ne seroit point éludée par la richesse ou la puissance, ainsi que cela arrivoit presque toujours autrefois ; les dégâts commis par un chasseur, quel qu’il soit, indépendamment des peines que les lois infligeroient à raison du trouble apporté à l’ordre public, se répareroient par une indemnité double