Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/438

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du dommage estimé, parce qu’en pareil cas, les estimations se font presque toujours fort au dessous de la valeur des pertes, et qu’il faut bien compter pour quelque chose le chagrin que le propriétaire peu fortuné éprouve en voyant ravager les fruits de son industrie ou de ses sueurs, aussi bien que le temps qu’il est obligé de perdre pour obtenir justice, Au reste, la sévère exécution des règlemens qui défendent de chasser dans les campagnes, avant l’époque où elles sont dépouillées, préviendroit, en grande partie, les abus de la chasse. C’est pour n’avoir pas tenu la main à l’observation de ces lois protectrices, et pour avoir souffert l’impunité des infractions, autant que par la sévère application de peines très-graves et hors de proportion avec le délit, contre quiconque chassoit ou prenoit le gibier sans en avoir le droit, que des réclamations se sont élevées de toutes parts, et que le peuple s’est soulevé contre des gens qu’il regardoit comme ses oppresseurs. La licence, toujours prête à profiter de l’apparence du retour vers une sage liberté, s’agita bientôt, et, interprétant à sa manière le décret de l’Assemblée constituante, se répandit, avec une fureur inconcevable, dans les bois et les plaines, déclara une guerre d’extermination aux animaux sauvages, et les fit, en peu de temps, presqu’entièrement disparoître du territoire français.

Si la trop grande abondance du gibier arrache de justes plaintes à l’agriculture, son anéantissement total seroit un malheur public. En ceci, comme en tout, les extrêmes sont nuisibles, et le bien ne se fait qu’en les évitant. Par-tout où la chasse est poussée au delà de certaines bornes, par-tout où les animaux sauvages sont multipliés à l’excès, l’agriculture est ruinée ; quand, à force de peines et de dépenses, l’on est parvenu à rendre une terre fertile, le découragement s’empare du séjour du souverain anglais en rapporte un du cultivoient, s’il en voit dévorer les productions ; et dès qu’il cesse d’être sûr de moissonner, il ne prend plus la peine de semer : c’est ce qui a lieu dans certaines contrées, aux environs du séjour du souverain. Un écrivain anglais en rapporte un remarquable : Sous le règne de l’ancien électeur de Saxe, roi de Pologne, les daims que ce prince faisoit conserver pour les chasser lui-même, s’étoient tellement multipliés dans son électorat, que les misérables Saxons lui offrirent d’augmenter ses troupes de six mille hommes, pour obtenir la liberté de réduire à moitié le nombre de ces animaux destructeurs ; mais on leur refusa cette demande avec un orgueilleux mépris. « Un pareil fait, ajoute le même auteur, suppose dans le prince une si étrange folie, ou une ignorance si absolue de ses devoirs, qu’on ne pourroit jamais le croire s’il n’étoit de notoriété publique. » (Cultivateur anglais, par Arthur Young, tome XVIIIe. de la traduction française, chapitre II.) Mais de pareils abus sont heureusement fort rares, tandis que l’excès contraire est devenu très-commun, du moins dans notre patrie. Maintenir les diverses espèces de gibier, dans une proportion telle que l’agriculture n’en souffre point sensiblement, éviter avec le même soin leur excessive multiplication, et leur trop forte diminution, c’est favoriser l’économie publique, et lui ménager une ressource importante. Le gibier augmente la masse des subsistances, et, quoique l’on puisse dire qu’il ne paroît que sur les tables somptueuses, il n’en diminue pas moins la consommation des autres denrées plus communes, et il contribue ainsi à les maintenir à un prix modéré. L’on sait, on outre, que plusieurs espèces d’animaux sauvages fournissent des matières précieuses au commerce et aux manufactures.