Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/501

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous devrions encore nous occuper des plantes dont la culture une fois introduite parmi nous fourniroit à nos fabriques plus d’alimens, au commerce une plus grande masse d’échange, et à notre industrie un bénéfice considérable.

Dans le nombre de ces plantes, je n’en citerai qu’une qui tient manifestement le second rang dans l’ordre de nos besoins ; c’est l’anil d’où l’on retire l’indigo. La ressemblance qui existe entre ce végétal et la luzerne de nos climats, m’avoit engagé autrefois a soumettre cette dernière au travail de l’indigotier, pour voir si elle ne fourniroit pas une fécule bleue ; dans la persuasion où je suis, que la couleur verte des végétaux est, ainsi que dans les arts du peintre et du teinturier, le résultat de la combinaison du jaune et du bleu, il seroit possible d’obtenir de l’indigo de toute autre plante que de l’anil ; en attendant la solution de ce problème, je crois, non sans fondement, que l’anil peut prospérer dans nos climats du Midi, qui offrent de beaux abris. On sait d’ailleurs qu’il y avoit autrefois dans l’île de Malte et eu Sicile une indigoterie.

À la vérité, la chaleur de notre climat n’est ni assez intense ni assez prolongée pour donner à d’autres plantes dont on a proposé la naturalisation le point de maturité et de perfection qu’exige leur longue végétation. Il seroit ridicule, par exemple, de tenter la culture du roucouyer indigène à l’île de Cayenne, et dont la semence fournit cette belle couleur jaune dorée et orangée ; nous sommes de la même opinion pour le curcuma et pour plusieurs autres végétaux venant sans culture, tels que les lichens qu’on ramasse sur les rochers et avec lesquels on prépare cette belle madère connue sous le nom d’orseille.

D’ailleurs, que sait-on si l’agriculture, dont tant de productions ont éprouvé l’heureuse influence, n’en détérioreroit pas certaines ?

Mes expériences sur la gesse tubéreuse me portent à penser qu’il existe beaucoup de plantes chez lesquelles la constitution naturelle est l’état sauvage ; que, livrées à elles-mêmes et dans le plus médiocre terrain, elles sont dans leur force végétative, et fournissent tout ce qu’elles peuvent rapporter ; qu’il seroit superflu de perdre ainsi son temps et ses travaux pour les améliorer et les rapprocher de celles qu’on pourroit employer en qualité de substitut ou de supplément ; que leur accroissement spontané n’est rien moins qu’un augure assuré de leur succès par les soins de la culture ; qu’il en est sans doute de quelques végétaux comme de certains individus du règne animal, ils résistent à toute espèce de culture, comme on voit les sauvages résister à toute espèce de sociabilité.

Il y a tant de plantes utiles dont la destinée est de croître sans culture, qu’on regrette toujours de ne pas les voir couvrir une étendue de terrain perdue pour nos besoins réels. Il seroit si aisé de les multiplier dans les fossés, sur les revers et les ados des chemins, le long des rivières, des ruisseaux et des canaux, dans tous les lieux aquatiques, en imitant la nature, qui répand leurs graines dans les circonstances les plus opportunes ; telles sont la gesse et l’orobe tubéreux, le souchet rond, les macres ou châtaignes d’eau, la reine des prés, les salicaires, les menthes, les origans, les serpolets, les genêts. Les uns portent des bouquets de fleurs fort agréables, et leurs feuilles sont un excellent fourrage ; les autres ont les semences ou les racines farineuses. On embelliroit les taillis avec des espèces de fleurs très odorantes ; les allées vertes seroient garnies de fromental et des autres graminées sauvages ; on ne construiroit les clôtures qu’avec des arbrisseaux à baies,