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de proie, tyrans sanguinaires des montagnes boisées qu’habitent les coqs de bruyère, font un grand carnage parmi ces paisibles oiseaux, et contribuent plus que les chasseurs à rendre peu nombreuse cette espèce d’ailleurs si féconde.

Le coq de bruyère passe pour un gibier délicat. Il est recherché pour les tables où règne un certain luxe ; cependant sa chair est sujette à contracter un goût que tout le monde n’aime pas, lorsque l’oiseau a eu occasion de manger en abondance des baies de genièvre. Le sapin, dont il dévore les bourgeons et les sommités, lui communique aussi ordinairement une saveur un peu résineuse ; cette saveur est sur-tout propre aux vieux oiseaux de cette espèce.

Ces oiseaux ne se plaisent que dans les régions froides ; les montagnes couvertes de pins et sapins sont leur domicile favori, et lorsqu’ils se rencontrent dans les climats tempérés, c’est que des sites montueux leur offrent des asiles conformes à leurs goûts et à leurs besoins. En France, on les trouve le long des Pyrénées ; dans les montagnes de l’Auvergne ; aux cantons de la Noriche, de l’ermitage, de la Catelude, dans les bois de Menet, du Mont-d’Or et de la Magdeleine dans le Dauphiné ; dans les forêts montagneuses des Ardennes et des Vosges, tant alsaciennes que lorraines.

Chasse du grand Coq de bruyère. Comme cet oiseau est très-défiant, et aussi sauvage que les lieux qu’il habite, il est difficile de le chasser, excepté dans la saison des amours, où l’instinct qui le domine alors occupe tellement toutes ses autres facultés, qu’il en suspend en quelque sorte l’exercice. Il semble avoir perdu le sentiment des dangers et la crainte même de la mort, et il se laisse approcher et tirer par les chasseurs, sans que rien puisse dissiper l’enchantement extatique dont il paroit enivré. Le chant fréquent et très-remarquable par lequel le mâle exprime ses désirs et appelle les femelles, sert alors à guider le chasseur et lui indique en même temps le moment précis de l’approcher. Ceux qui se font une occupation de cette chasse ont l’usage, pour la faire avec succès, d’aller coucher sur les lieux mêmes, dans des huttes qu’ils se construisent avec des branches de sapin. Ou se met aux aguets deux heures avant le coucher du soleil ; sitôt qu’on a entendu la voix d’un coq de bruyère, on se dirige vers l’arbre où on le juge perché ; on avance à mesure qu’il se livre à son chant, mais avec la précaution de s’arrêter à l’instant même qu’il le cesse. Cette précaution est tellement de rigueur, que les chasseurs expérimentés recommandent de rester en la même position où l’on se trouve à la fin du chant du tétras, eut-on même un pied en l’air. Avec ce soin, on parvient infailliblement à approcher son gibier à bonne portée ; cette chasse peut se renouveler le matin, dès l’aurore, jusqu’après le soleil levé

Il est une autre chasse nocturne qui se fait à l’aide du feu. Sa saison propre est l’automne ; elle se prolonge jusque dans l’hiver, lorsqu’il n’y a pas trop de neige. Il faut, comme dans la précédente, aller passer la nuit au bois dans la partie la plus fréquentée des coqs de bruyère ; une heure avant le coucher du soleil, un ou plusieurs chasseurs montent sur les arbres les plus élevés, d’où ils observent les mouvemens des coqs et les arbres où ils s’arrêtent pour percher et passer la nuit. Après ces remarques faites, les chasseurs se réunissent et se munissent, s’ils ne l’ont fait d’avance, de brandons que l’on tire des débris d’une vieille souche de pin bien résineuse ; on les dispose sur une espèce de plateau ou de bassin que l’on fait faire quelquefois de fer-blanc pour cet usage ; souvent aussi l’on se contente pour cela