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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/552

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CORBEAU, CORBINE, CORNEILLE, FREUX et CHOUCAS. Tous ces oiseaux prennent indistinctement, chez le commun des hommes, le nom de corbeaux. Ils constituent néanmoins des espèces distinctes qui ne se mêlent point entr’elles, et qui diffèrent par les habitudes aussi bien que par quelques marques extérieures : du reste, ils sont tous du même genre, celui du corbeau, dont les caractères sont d’avoir le bec épais et fort, à pièce supérieure convexe, à bords tranchans, et, dans plusieurs espèces, à échancrure vers la pointe ; les narines couvertes de soies qui se dirigent vers la pointe du bec ; le bout de la langue divisé ; trois doigts séparés en avant et un en arrière ; enfin le doigt du milieu tenant au doigt extérieur jusqu’à la première articulation.

Ce genre fait partie de l’ordre des Pies. (Voyez ce mot.)

Le plus gros, et en même temps le plus courageux de cette noire tribu, est le corbeau proprement dit, (corvus corax Lin.) Il est de la grosseur d’un bon coq, et sur le fond noir de son plumage se jouent des reflets de bleu luisant, principalement aux ailes et à la queue ; il y a aussi un peu de roux mêlé à la teinte moins foncée du ventre ; le bec, les pieds, la langue et le palais, tout est noir, comme les plumes, dans cet animal, excepté l’iris de l’œil, qui est varié de cendré et de roussâtre. La femelle est plus petite, d’un noir moins décidé, et armée d’un bec moins fort. Les jeunes ressemblent plus aux femelles qu’aux mâles adultes, mais lorsqu’ils viennent d’éclore ils ont une teinte jaunâtre ; c’est aussi la couleur des vieux à leur extrême vieillesse : ces oiseaux vivent au delà d’un siècle.

Suivant d’anciennes allégories, que la mythologie a consacrées, le corbeau étoit d’une blancheur éclatante, et il ne devint noir que pour avoir trop parlé ; ce fut une vengeance d’Apollon. Ce dieu avoit prêté l’oreille aux faux rapports que lui fit cet oiseau sur l’infidélité de Coronis, et, dans un premier accès de fureur, il tua sa maîtresse ; il ne tarda pas à se repentir d’une action que la passion et la jalousie ne peuvent excuser, et, pour punir l’oiseau délateur, il le couvrit d’une robe lugubre. Si cette fable avoit pu se réaliser plus généralement, que de gens qui se sont fait de la délation un jeu infâme, seroient devenus, dans ces derniers temps, aussi noirs que le corbeau !

Ce n’est pas la seule fable à laquelle le corbeau ait donné lieu ; son croassement, aussi lugubre que son plumage, sa physionomie grossière, ses appétits dégoûtans, l’ont fait regarder comme un être sinistre et de mauvais augure. Cent contes ont été débités au sujet de cet oiseau ; quelques uns sont encore répétés de nos jours, et trouvent des gens assez simples pour y croire. Dans tout cela, il n’y a de réel qu’une fausse application de choses fort naturelles, que faits mal vus ou exagérés, et que l’effet de ce penchant qui entraîne les hommes vers le merveilleux et les dispose à la crédulité.

Si l’on abjure toute prévention, et que l’on observe les mœurs des corbeaux, on trouvera ces oiseaux aussi intéressans, j’ajouterai aussi aimables, qu’ils ont paru d’abord rebutans et odieux. Ils ne le cèdent à aucune espèce en amour et en constance ; chaque couple demeure uni et toujours amoureux ; les tourterelles, qui méritèrent d’être consacrées à la déesse des Amours, ne se livrent pas à des caresses plus douces, graduées avec plus d’art, et plus voluptueuses. Mais la comparaison entre ces oiseaux ne doit pas être portée plus loin, si. on ne veut pas qu’elle devienne tout à l’avantage du corbeau qui, loin d’avoir le naturel volage de la tourterelle, ne cesse de ché-