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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/553

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rir la compagne qu’il a choisie, ne la quitte point et lui demeure fidèle. L’on cite des couples de corbeaux, que des observateurs ont suivis pendant quarante ans et plus, et qui n’ont pas cessé, pendant ce long espace de temps, de rester unis, de s’aimer et de se prodiguer des caresses ; en sorte que c’est chez ces animaux, qui inspirent la répugnance quand ils ne sont pas connus, qu’il faut chercher l’exemple des sentimens les plus tendres et les plus durables, ainsi que le modèle des bons ménages.

Les crevasses des rochers escarpés, les cimes des plus hauts arbres isolés, de vieilles tours abandonnées, sont les lieux où les corbeaux placent, dès les premiers jours de mars, et quelquefois plus tôt, leur nid et les fruits de leurs amours. Trois couches superposées l’une à l’autre composent ce nid qui est fort grand ; à l’extérieur ce sont des rameaux et des racines, au milieu, des matières dures, telles que des os de quadrupèdes, et à l’intérieur des gramens, de la mousse et de la bourre. La ponte est de quatre à six œufs parsemés de petites taches et de traits noirâtres sur un fond bleu pâle mêlé de vert. L’incubation dure vingt jours, et le mâle et la femelle en partagent la fatigue et l’ennui ; ils partagent également le soin de nourrir leur famille naissante, et ce soin se prolonge très-long-temps ; car leurs petits tardent beaucoup à se pourvoir eux-mêmes et à quitter le nid et les environs : le père se charge de leur défense, et il y apporte tant de chaleur et d’intrépidité, qu’il parvient à préserver sa progéniture de la serre de l’oiseau de proie.

Tel est le corbeau dans sa solitude, et, si l’on peut s’exprimer ainsi, dans son intérieur ; mais lorsqu’il s’en éloigne et qu’il se livre à ses goûts immondes, il cesse d’inspirer de l’intérêt. Sa voracité paroit insatiable, ses appétits révoltent, et sa méchanceté contre tout ce qui n’est pas l’objet de ses affections le rend dangereux. Les voieries infectes, les charognes pourries qu’il évente de loin, sont pour lui une nourriture de choix ; à défaut de ces repas dégoûtans, il se jette sur les rats, les grenouilles, les coquillages, les œufs et les petits des oiseaux, les insectes et même les fruits et les grains : il recherche aussi la chair vivante des quadrupèdes qu’il ne craint pas d’attaquer en se cramponnant sur leur dos. L’on a vu un corbeau se fixer sur le dos d’un âne, l’assaillir à grands coups de bec, le faire courir à toutes jambes dans la campagne, et lui entamer les chairs. Un voyageur moderne rapporte que les corbeaux très-nombreux en Laponie viennent avec hardiesse prendre le poisson pendu pour le faire sécher, et qu’ils poussent l’audace jusqu’à attaquer les moutons, à qui ils arrachent les yeux et déchirent le ventre. (Acerbi, Voyage au Cap Nord.)

La domesticité, à laquelle les corbeaux se façonnent néanmoins facilement, n’adoucit pas leur férocité ; ils ne craignent ni les chiens, ni les chats, et les attaquent quelquefois avec tant de fureur, qu’ils les mettent à mort ; ils se jettent même sur les personnes qu’ils ne connoissent point, et sur les enfans. Les papiers publics ont fait mention récemment d’un accident malheureux qu’il est bon de répéter, afin d’engager les habitans des campagnes à prendre plus de précautions qu’ils n’en prennent ordinairement.

Un homme du village de Schornsheim, au canton de Werstadt, département du Mont-Tonnerre, avoit attrapé et enfermé dans une chambre un corbeau dont il faisoit son amusement. Un jour qu’il étoit allé aux champs avec sa femme et une partie de ses enfans, il laissa dans un berceau une petite fille âgée de six mois ; le corbeau étoit attaché par une corde dans la même cham-