Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/204

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présente plus d’un genre d’utilité ; et lorsque la licence s’empara de quelques indications inconsidérées, échappées à des hommes à vues saines et louables, mais, en pareil cas, trop bornées et irréfléchies, certes elle n’a aucun droit à nos éloges. Le bien général n’étoit ni son but, ni son guide ; et la fougue qui l’anima dès qu’elle ne connut plus de frein, n’étoit que l’emportement de la cupidité et d’une vengeance sans motif.

L’économie publique se compose de diverses branches, parmi lesquelles, dans une contrée telle que la France, l’agriculture doit, sans contredit, occuper le premier rang : comme le plus ancien et le plus indispensable des arts, elle a des droits incontestables aux encouragemens du Gouvernement, aux efforts et à l’industrie des particuliers ; elle commande même des sacrifices ; mais sa prospérité ne dépend pas absolument d’une foule de privations que s’imposeraient les habitans d’un pays, sans grand profit pour elle, et au détriment de leur aisance personnelle et de la richesse commune. L’abondance des subsistances, l’intérêt du commerce et des manufactures sont aussi des objets qui réclament l’attention générale ; et si une foule de considérations puissantes place l’agriculture fort au dessus de tous, leur ruine ou leur langueur ne doit pas être l’effet de la préférence qu’on lui accorde à juste titre. De même que la nature a voulu que dans l’immensité de ses œuvres, un équilibre admirable maintint les espèces au milieu des causes multipliées de leur destruction, et ne leur permit pas que l’une périsse pour le bien-être d’une autre, ainsi l’homme qui s’est rendu, en quelque sorte, l’émule de la nature, par la création des arts, ne favorise pas l’un aux dépens des autres, règle leurs progrès suivant leur utilité, accorde la prééminence à ceux que son intérêt lui désigne, mais n’en abandonne aucun, et établit entr’eux une sorte d’harmonie qui fait la richesse et la splendeur des nations civilisées.

Pour ne pas sortir du sujet de cet article, il me suffira de démontrer en peu de mots, que notre économie publique a perdu à la destruction des lapins, sans que l’agriculture ait beaucoup gagné. Il y a environ deux ans que j’eus à écrire sur le même objet ; l’extrait de ce travail, qui n’est que l’exposition de faits avérés, doit naturellement trouver place ici.

« L’espèce du lapin a pour nous le double avantage du nombre et de l’utilité ; c’est un bon aliment pour l’homme, et les arts et le commerce en retirent un très-grand produit. L’on sait que le poil des lapins est la principale matière de la fabrication des chapeaux ; l’on évaluoit à quinze ou vingt millions le prix annuel des peaux de lapins que les chapeliers de France consommoient avant la révolution. Il entre huit onces de poil dans la fabrication d’un chapeau. Lyon et Paris sont les deux plus fortes manufactures de ce genre ; et les chapeaux que l’on y faisoit de cette matière produisoient environ cinquante millions. La bonneterie l’emploie aussi en assez grande quantité ; les gants et les bas qui en sont faits ont un tissu léger, fin et moelleux. Ce poil entre encore dans les manufactures de draps, et les mêmes peaux qui donnent des fourrures fort chaudes servent, lorsqu’on en a arraché le poil, à faire d’excellente colle, qui a de la finesse, de la légèreté, de la transparence, beaucoup de ténacité, et qui sert, sous toutes sortes de formes, dans plusieurs ateliers. L’on peut assurer que la multiplication des lapins est vraiment une richesse nationale, et leur quantité entretient celle des subsistances. Tous ces avantages ont été per