Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/205

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» dus par la destruction générale et inconsidérée des lapins. L’on n’a pas songé que, pendant des siècles, l’abondance avoit souri à nos campagnes, quoiqu’il y eût des lapins dans nos forêts ; que le gibier rend en chair et en dépouille ce qu’il consomme en plantes champêtres ; que sa propagation favorise celle des animaux domestiques, dont elle ménage la consommation ; qu’en privant l’industrie des matières qu’elle emploie, l’on en diminuoit les travaux ; qu’enfin, l’achat de ces matières indispensables à nos manufactures, et qui se trouvoient abondamment dans notre propre pays, faisoit passer à l’étranger des sommes considérables. — Faux calculs de l’imprévoyance, et suites funestes de trop brusques innovations ! Le mal est assez pressant pour que l’on s’occupe de le réparer ; le temps de la destruction n’a que trop duré ; quelque profondes que soient les traces de ses ravages, un zèle éclairé les aura bientôt comblées, et la France verra renaître une branche importante de prospérité publique et d’aisance particulière, pour laquelle des fautes graves en économie générale, l’ont rendue tributaire de l’étranger. Il est même possible que l’agriculture n’ait rien à redouter de la grande multiplication qu’il est indispensable d’introduire de nouveau dans l’espèce des lapins, si l’on forme des garennes qui, par leur isolement ou des barrières, ne permettent pas à ces animaux de se répandre dans les campagnes. Ces garennes offrent le moyen le plus sûr de tirer un fort bon parti des plus mauvais terrains ; les Anglais ne manquent guères d’en établir dans les endroits montueux et stériles de leurs possessions. Un de leurs meilleurs écrivains en économie rurale, a calculé qu’une garenne de dix-huit cents acres rapporte jusqu’à trois cents livres sterling, ou 7 200 l. tournois de revenu ; tandis que le sol, quelle que soit la culture que l’on y introduisît, produiroit à peine un sohelling, ou vingt-quatre sous par acre. L’on cite encore une garenne du comté d’Yorck, où l’on prend, dans une nuit, cinq à six cents paires de lapins, et celle de l'évêque de Derry, en Irlande, de laquelle il retire plus de douze mille peaux de lapins par année. Les Anglais emploient le poil des lapins gris dans les manufactures de chapeaux ; celui des blancs et des noirs est envoyé aux Indes orientales, et le prix moyen de ces peaux est d’un schelling la pièce. La douzaine de peaux de lapins, tués en bonne saison, c’est-à-dire pendant l’hiver, se vend sur le pied de six à sept francs, en poil gris ou commun, sept à huit francs en poil noir ou en poil blanc, et vingt-quatre francs en poil argenté. La peau d’un bœuf de force commune, vaut environ un vingtième du corps entier ; celle d’un mouton en laine, vaut entre un sixième et un dixième, suivant l’espèce ; mais la peau d’un lapin vaut le double du corps ; car son corps ou la chair indemnisant de sa nourriture et des soins qu’on lui donne, la valeur de la peau est en gain : c’est donc une espèce de capital qui donne près de trois fois sa valeur, et trois fois autant, proportion gardée, qu’un bœuf ou un mouton. » (Nouveau Dictionnaire d’Histoire naturelle, article Lapin.)

Fidèle à ses principes, Rozier n’a enseigné qu’à détruire les lapins ; je parlerai des moyens de les conserver et de les multiplier. Si, mon opinion se trouve, sur ce point d’économie publique, absolument opposée à celle d’un écrivain célèbre, je partage le sentiment d’un auteur plus célèbre encore, que l’agriculture française considère, avec raison,