Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/231

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ciales avec le Levant sont interrompues, il ne nous arrive plus de peaux de lièvres. D’un autre côté, le nombre de ces animaux qui existoient en France étant très-considérablement réduit, le prix des objets fabriqués avec leur dépouille a dû nécessairement s’élever dans une progression rapide. La destruction des lièvres, provoquée et suivie avec acharnement, est donc un mal, en même temps que leur multiplication, si elle n’est pas excessive, contribue à l’aisance de la vie, aussi bien qu’à l’activité des manufactures.

C’est en hiver que les peaux de lièvres ont le plus de valeur, parce que leur poil est alors plus fourni, plus long et plus soyeux. C’est aussi la saison où leur chair a le meilleur goût. La bonne qualité de ce gibier dépend beaucoup du terrain qu’il habite et de la nourriture qu’il y trouve. Les lièvres qui ne quittent pas les lieux élevés sont préférables à ceux qui se tiennent dans les plaines fangeuses ; au fond des bois, ils valent moins que dans les campagnes ; et ils surpassent tous les autres en fumet et en délicatesse, lorsqu’ils broutent le serpolet, le thym et les autres plantes odoriférantes qui tapissent les montagnes des parties méridionales de la France ; c’est là où ces animaux ont une saveur que ceux des environs de Paris ne laissent pas même soupçonner ; ils perdent absolument toute qualité si on les élève en domesticité, quoiqu’ils y acquièrent une graisse abondante, mais qui est de mauvais goût. Au reste, l’éducation de cette espèce d’animaux ne présente aucun avantage et ne peut être que partielle. Les lièvres privés de leur liberté ne produisent point, même dans des enclos de quelque étendue, en sorte qu’il seroit impossible de former des garennes de lièvres, comme on en forme de lapins.

La nourriture des lièvres se compose uniquement de végétaux, et ils n’ont pas besoin d’industrie pour se la procurer. En hiver, lorsque les herbes, les grains, les feuilles et les fruits leur manquent, ils rongent l’écorce des arbres. Ils multiplient beaucoup moins que les lapins ; ils sont en état d’engendrer en tout temps et dès la première année de leur vie ; la gestation est de trente ou trente-un jours, et chaque portée est d’un, deux, trois et jusqu’à quatre petits, qui ont pour l’ordinaire une tache blanche au front. Ils restent avec la mère pendant vingt jours, après quoi ils s’en séparent et s’éloignent aussi les uns des autres pour vivre solitairement ; mais ils ne s’écartent pas des lieux où ils sont nés. Leur gîte n’est qu’un léger enfoncement dans la terre, exposé au midi en hiver, et au nord en été ; ils s’y tiennent tapis durant une grande partie du jour, et ils passent la nuit à se promener, paître, jouer et s’accoupler.

Le lièvre mâle adulte se nomme bouquin, la femelle hase, le jeune levraut ; et le levraut qui est près de son entier accroissement, trois-quarts. Les chasseurs appellent lièvres ladres, ceux qui aiment les lieux aquatiques et marécageux. Le bouquin se distingue de la hase par sa tête plus courte et plus arrondie, ses oreilles plus courtes, plus larges et plus blanchâtres, sa queue plus longue et plus blanche, ses épaules rouges et parsemées de quelques poils plus longs que les autres. Quant à la manière de reconnoître si un lièvre est jeune ou vieux, je la rapporterai telle que l’auteur de la Chasse au fusil l’a indiquée : « On tâte, dit-il, avec l’ongle du pouce la jointure du genou d’une patte de devant ; lorsque les têtes des deux os qui for ment l’articulation sont tellement contiguës que l’on ne sent point d’intervalle entre deux, le lièvre est vieux ; lorsqu’au contraire il y a une séparation visible entre les deux os, il est