Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/24

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de tous les étangs existans en France est un des préceptes émanés de leur doctrine, et prescrit avec une chaleur inconsidérée par des hommes très recommandables.

Parmi ces écrivains, l’on a vu Rozier figurer au premier rang, et provoquer la suppression générale des étangs comme un objet indispensable, auquel le salut de la masse des hommes étoit attaché. « Aux grands maux, disoit-il, il faut de grands remèdes ; les palliatifs les augmentent ; la cognée mise au pied de l’arbre est le seul remède. Je sais que les propriétaires des étangs trouveront ma morale un peu sévère, qu’ils me traiteront même de séditieux ; mais, est-ce ma faute si, de gaîté de cœur, connoissant l’étendue du mal, ils persistent à être non seulement le fléau, mais les destructeurs de l’espèce humaine ? »

Au temps où Rozier lançoit cette sorte d’anathème contre les étangs et leurs propriétaires, la marche du gouvernement étoit lente, grave, réfléchie, et fort éloignée de toute innovation trop brusque ; les provocations violentes de l’auteur, pour l’anéantissement total des étangs, ne furent point écoutées, et ne firent même aucune sensation. La révolution vint ranimer les espérances des partisans de ce système exagéré ; ils en fatiguèrent en vain les deux premières Assemblées législatives ; mais la Convention nationale, qui avoit changé la forme politique de la France, n’hésita point à adopter une mesure dont le but étoit de changer aussi la forme de notre agriculture ; elle ordonna, en l’an 2, l’assèchement de tous les étangs et lacs de la France, leur ensemencement en grains de mars, ou leur plantation en légumes servant à la nourriture de l’homme.

Cette loi produisit un effet tout opposé à celui que ses provocateurs s’étoient promis. Au lieu des bénédictions qui accompagnent les actes d’une autorité bienfaisante, la Convention qui, séduite des argumens spécieux, avoit voulu faire disparoître les étangs de notre territoire, comme un moyen de rendre la santé à des millions d’hommes, et à l’agriculture des milliers d’arpens, ne recueillit que des plaintes et des murmures. Des cris et des réclamations s’élevèrent de toutes parts contre l’exécution de la loi ; les administrations et même les sociétés populaires adressèrent au gouvernement des observations très-pressantes ; et, ce qu’il y a de remarquable, c’est que les réclamations furent très-vives dans les contrées dont la situation avoit servi plus particulièrement de motif à la loi ; telles furent la Bresse et la Sologne. Fatiguée de ces plaintes presque unanimes, la Convention rapporta, à peu près un an après l’avoir rendue, la loi relative au dessèchement des étangs ; et les choses sont restées depuis dans leur ancien état, à l’exception néanmoins de plusieurs étangs, qu’une trop prompte exécution de la loi fit anéantir, au grand détriment des cantons où ils existoient. C’est ainsi que les Vosges ont perdu de beaux et vastes réservoirs d’eau, d’une grande importance pour l’utilité générale.

Si, par cette perte, l’espèce d’essai ordonné par le gouvernement devint funeste, il servit du moins à décider une question, qui n’en étoit pas une aux yeux des gens éclairés et non prévenus, et à mettre fin à de longues discussions ; car les étangs avoient aussi leurs partisans et leurs défenseurs. Quelque solides que fussent leurs raisonnemens, appuyés par un grand nombre de faits et par l’expérience, ils avoient à lutter contre des adversaires dont l’opinion formoit autorité, et leurs écrits étoient défigurés ou tournés en ridicule dans les ouvrages des agronomes, dont la plume exerçoit une sorte d’empire en pareilles matières.

Il n’est pas inutile de remarquer qu’à l’époque où ces agronomes, excités par