Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jardins, qui ne se conserveront telles qu’autant qu’elles seront cultivées dans un sol abondamment saturé de sels qui stimulent la fibre végétale, et de carbone qui la distend, la remplit et la fait croître en tous sens ; et, par une conséquence de la même loi, si le végétal cultivé cesse de l’être, il périt avant le terme fixé par la nature, victime des soins qui ont amolli sa constitution : mais avant de cesser de vivre, il emploie le reste de ses forces à produire un nombre d’autant plus grand de semences, qu’il est plus malade.

Ce n’est donc que par une marche lente et successive que la nature a permis à l’homme de modifier les formes organiques végétales, pour satisfaire sa propre organisation et faire cesser ses besoins les plus pressans, comme pour lui montrer par-tout son insuffisance, lui marquer les bornes de son pouvoir et l’inviter à la méditation, au travail et au courage de la patience, le plus grand de tous.

Mais si les modifications que la main de l’homme fait subir aux plantes, s’aperçoivent lentement dans leurs résultats utiles, ils s’accompagnent toujours d’un plaisir soutenu et des bienfaits de la santé, parce que les travaux attachés à la culture des jardins, exercent d’une manière égale toutes les parties du corps et en facilitent les fonctions, et parce que le stimulus des émanations végétales exerce sur les sens une action douce, égale, constante, qui s’accompagne d’un spectacle ravissant et animé, sans offrir le tableau des misères physiques et morales qui tourmentent la foule tumultueuse destinée à parcourir une vie inquiète dans le sein des grandes cités.

J’ai pensé que dans un temps où le bon goût et des mœurs douces fixent à la campagne des hommes de tous les états et de tant d’opinions et de professions diverses, il me seroit permis d’invoquer leur attention sur l’agriculture et particulièrement sur le jardin potager, comme faisant partie essentielle du domaine rural. Et pourquoi, lorsque la philosophie a appelé tous les regards sur les objets d’utilité publique, et les a vengés des mépris auxquels ils étoient si injustement condamnés, pourquoi l’humble potager rougiroit-il d’étaler son utile parure ? Pourquoi n’oseroit-il aussi paraître sur la scène économique, quand il put s’appuyer de l’autorité des plus grands noms, Pline, Varron, Columelle, Vanières, Rapin, etc. ? Virgile même, poète du sentiment, dit :

Si mon vaisseau, long-temps égaré loin du bord,
Ne se hâtoit enfin de regagner le port,
Peut-être je peindrois les lieux chéris de Flore ;
Le narcisse en mes vers s’empresseroit d’éclore ;
Les roses m’ouvriroient leurs calices brillans ;
Le tortueux concombre arrondiroit ses flancs ;
Du persil toujours vert, des pâles chicorées,
Ma muse abreuveroit les tiges altérées[1].

On voit, dit M. de Lille, de qui nous avons emprunté ces vers, que cette composition de jardin est très-simple et toute naturelle ; et on aime à citer de Lille quand on parle de la nature, qu’il a si bien chantée.

Succession des productions du jardin maraîcher. Les maraîchers font, (comme ils disent) trois saisons de légumes : nous allons offrir un exemple de ce mode de culture.

Je suppose le marais muni de puits, de couches, de canaux ou rigoles, de châssis, de cloches et de fumier de diverses sortes.

Première saison. Du 9 au 15 octobre, (le jour ou peu après la Saint-Denis), semez la romaine verte d’hiver, sous châssis ou sous cloches ; soignez ce semis jusqu’au 11 novembre, (Saint-Martin) alors repiquez le jeune plant encore sous

  1. Atque equidem, extremo ni iam sub fine laborum, etc. Virgile. Georg. Lib.
     IV.