Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/249

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duits à un état de domesticité jardinière, si je puis parler ainsi. D’après cela, toute graine de plantes potagères qui s’éloigne de ces attributions, doit être rejetée : méfiez-vous de toute semence de laitues et des diverses variétés de choux et de choux-fleurs, de raves et de petits radis, etc. etc. qui ne seroient pas provenues de plantes franches dans leur espèce, et qui n’auroient point été replantées à des distances convenables.

Ces considérations sont utiles, et je dois les énoncer ici, parce que l’expérience me sert de guide en ce point, et qu’elles me paroissent attachées à la prospérité de l’agriculture : il m’est démontré, par les plantations des porte-graines de notre magasin de commerce de graines, d’arbres et plantes, (frères Tollard, à Paris, grainetiers-pépiniéristes) que les variétés ne se conservent que lorsqu’on recueille leurs semences sur des légumes choisis, replantés et éloignés les uns des autres : par exemple, la laitue pommée blanche doit être plantée loin de la laitue pommée rouge, car si elles sont voisines, les poussières des feuilles se communiquant, il en naîtra une race métisse intermédiaire, et si l’une de ces espèces se trouve à côté d’une autre moins bonne, la semence donnera une race dégénérée, et ainsi des choux et des diverses sortes d’autres légumes. On sentira mieux la nécessité de ces précautions, en réfléchissant que la plupart des plantes potagères sont dues aux travaux des jardiniers, à la qualité des terres, au hasard et à d’autres combinaisons de mariages végétaux, ou enfin à l’action diminuée ou augmentée de l’eau, de l’air et de la lumière : ce sont des conquêtes sur le règne végétal, qu’il faut maintenir par beaucoup de surveillance, pour qu’elles ne retournent pas à l’état de nature d’où l’homme les amène à l’état de plantes potagères ; mais, arrivées à cet état de perfection, ces plantes potagères, semées, reproduisent des plantes semblables, et cette reproduction durera autant que la qualité du sol ne s’y opposera pas, et que le cultivateur sera attentif à la conservation des races. C’est ainsi qu’une culture longue et assidue d’une plante, et l’action plus ou moins prononcée de la lumière, en changent la constitution primordiale. La laitue, qui ne présente dans l’état de nature que quelques feuilles velues et d’une saveur désagréable, a acquis une succulence utile, une saveur agréable, et s’est modifiée en quarante variétés et sous-variétés, dont les formes se reproduisent constamment par leurs semences. La consistance dure et fibreuse du navet, de la carotte, du panais, du salsifis, du chervi, de la betterave, a été remplacée par des fibres molles et distendues, dont les mailles sont remplies de sucs sucrés ; les squammes des cinarées (cardons et artichauts) sont devenues comestibles et éminemment nutritives. Les fruits des cucurbitacées ont perdu leur saveur amère, et se sont transformés en masses énormes d’une pulpe sucrée ; le chou a formé sa racine en chou-navet, sa tige en chou-rave, et ses feuilles en choux-pommés, frisés et non frisés, et en choux verts. Enfin, le poison a disparu et fait place à la fécule nourrissante, dans une foule de végétaux : la nature a voulu que ces formes variées, cette distension outrée du tissu réticulaire des diverses parties végétales, se reproduisissent par semences dans les plantes légumières, juste récompense des travaux attachés à l’agriculture.

C’est une loi commune à tous les corps vivans qu’ils se succèdent semblables à la première génération, et qu’ils ne se dépravent que par les générations successives. L’arbre sauvage qui donne un fruit acerbe, n’arrivera à le donner doux et succulent qu’après avoir été long-temps mutilé, greffé et cultivé ; et ainsi des plantes légumières transportées dans les