Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avoir donné des produits considérables en poissons qui, portés dans les grandes villes, rendent un argent dont les campagnes profitent pour leur amélioration, la charrue passe sur un fond momentanément desséché, et des moissons abondantes en blé, ou en avoine, fruits d’une culture facile et peu dispendieuse, remplacent pour un temps les poissons et leur humide demeure. Le sol des étangs n’est donc point totalement perdu pour la culture proprement dite ; et, quand l’on supposeroit cette perte aussi réelle qu’elle est imaginaire, les bénéfices de la vente des poissons surpassent, généralement parlant, ceux que donneroit une culture suivie sur la même surface de terrain. La sorte d’agriculture vivante qui règne dans les eaux des étangs est d’un produit d’un assez grand intérêt, pour ne point être sacrifiée à l’agriculture végétale. Les ressources alimentaires ne doivent pas se borner, sans doute, aux plantes céréales ; et tout ce qui tend à les multiplier a droit aux ménagemens et aux soins propres à les conserver.

Que sont, d’ailleurs, sur l’immense et riche territoire de la France, quelques milliers d’arpens non soumis aux cultures ordinaires, sur-tout lorsqu’ils sont consacrés à des productions d’une utilité et presque d’une nécessité générale ? Autant vaudroit abattre les forêts pour y semer du blé, et changer la nature de tous les terrains consacrés à l’agrément. N’existe-t-il pas assez de terres vagues, incultes ou couvertes d’épaisses bruyères et de marais pestilentiels, qui attendent pour être fertilisées, l’argent du capitaliste et les efforts du cultivateur ? Et ne sait-on pas qu’une exploitation dirigée avec intelligence, sur un terrain borné, est plus profitable que celle qui s’égare, pour ainsi dire, sans moyens et sans discernement sur une grande étendue ? Quiconque a observé les étangs a pu reconnoître que leur fond, presque toujours ingrat on marécageux, se refuseroit a une culture continue, et rentreroit bientôt dans le domaine de la stérilité, si on ne lui rendoit les eaux qui servent d’asile à des myriades de poissons.

Les étangs sont encore utiles à l’agriculture, en fournissant aux irrigations des terres qui les environnent, en y entretenant une humidité fécondante, enfin en leur préparant un excellent engrais, par le limon qui s’amasse sur le lit de ces amas d’eau, par les débris des végétaux qui y croissent et les restes abandonnés de leur pêche.

La salubrité de l’air fut le second motif de quelque importance dont on s’étaya pour solliciter la destruction des étangs. S’il en est qui répandent des exhalaisons pernicieuses dans le voisinage des lieux habités, ils doivent être anéantis ; c’est le devoir sacré d’une autorité vigilante et tutélaire. Mais n’auroit-on pas affecté, à dessein, de confondre les étangs avec de vastes marais qui subsistent encore sans utilité sur plusieurs points de la France, et qui exhalent les maladies épidémiques et la mortalité ? Le dessèchement de ces espaces fangeux, de ces fondrières pestilentielles, de ces réservoirs intarissables de maux, ne peut être provoqué avec trop d’empressement ; et il auroit dû, ce me semble, exciter le zèle de quelques agronomes, plutôt que l’anéantissement des étangs, qui rachètent de foibles inconvéniens par des avantages nombreux et certains.

Si, de ces vues générales, l’on descend à des considérations particulières, il sera facile de se convaincre qu’une foule de maux seroit le résultat inévitable de la suppression des étangs. Ici, la sécheresse de l’atmosphère et du sol, l’aridité s’emparant de prairies ou de pacages qui cesseroient d’être humectés ; là, nul abreuvoir pour les bestiaux ; plus loin, les routes interceptées par la démolition des digues, les sources taries, les