Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/317

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désolation ; ayant bientôt épuisé les subsistances d’un canton, ils ne sont pas long-temps à passer dans un autre, et ils parcourent ainsi une grande étendue de pays. Les obstacles ne les arrêtent pas dans leur marche, et on les a vus traverser de larges rivières qui se trouvoient sur leur chemin.

L’Europe entière est exposée aux dégâts occasionnés par ces animaux, et les âpres régions du nord de l’Asie n’en sont pas à l’abri. Ces années dernières, une énorme quantité de mulots et de campagnols s’est montrée sur plusieurs points de la France ; dans l’Ouest, par exemple, ils occupèrent en quelques mois un espace de quarante lieues carrées, et les détails des maux qu’ils y firent paroîtroient incroyables, s’ils n’avoient pour témoins et pour victimes les habitans de tout un pays. Il y a quatre ans, les environs de Strasbourg furent en proie aux dévastations de ces animaux ; on estime que trente mille arpens de terre furent ravagés par ces deux espèces malfaisantes, et on cite un cultivateur qui n’a recueilli que dix-sept épis d’un arpent de blé.

Dans les temps de disette, les mulots et les campagnols s’entre-dévorent ; mais, quand l’abondance leur permet de subsister en cohortes dévastatrices, l’on ne doit plus espérer que, semblables aux brigands qui se disputent le butin, ils se déchirent et se tuent les uns les autres. L’on conseille souvent l’emploi de poisons très-actifs pour s’opposer à l’excessive et très-nuisible multiplication de ces animaux ; mais ces sortes de moyens, d’une utile destruction, ne doivent être mis en usage que par les mains de la prudence et avec de grandes précautions, capables de diminuer le danger qu’ils présentent pour les hommes et les animaux nourris dans les fermes. La dissolution d’arsenic, dont on imprègne les grains que l’on destine pour appât, est du nombre de ces préparations dangereuses, que l’on feroit peut-être mieux de proscrire que de conseiller. Le moyen suivant, que vient de me communiquer un cultivateur estimable[1], a peut-être moins d’inconvéniens :

Prenez un bâton de bois blanc de quatre pouces de long et d’un pouce et demi de diamètre ; faites-le percer à trois pouces et demi de profondeur avec une tarière de treize lignes. Ce bâton formera une espèce d’étui que vous remplirez d’une farine mêlée d’arsenic, et vous le placerez dans les champs endommagés, après les semailles des blés ; les mulots et les campagnols sortiront, la nuit, pour venir manger la farine, et le second jour vous les trouverez morts sur la terre ou dans leurs trous. Vous remplirez de nouveau le bâton, et vous le changerez de place. Une douzaine de ces bâtons peuvent détruire une grande quantité de ces animaux.

D’autres substances moins pernicieuses que l’arsenic peuvent être employées avec succès pour faire périr les mulots et les campagnols ; telles sont le tithymale et le garou. On pile l’une ou l’autre de ces plantes, pour en extraire le suc dans lequel on fait tremper, pendant quelques jours, des grains de blé ; on les pose sur des morceaux de tuile dans les champs ; ils sont bientôt mangés par les mulots et les campagnols, et ces animaux périssent empoisonnés. L’on assure que les feuilles d’aulne répandues sur le sol et enterrées à la charrue, les font fuir. M. Beuvin, cultivateur dans le département de la Somme, a indiqué un procédé qui lui a réussi : « La retraite des mulots et des campagnols, dit-il, est aisée à connoître par un amas de terre pulvérisée qui envi-

  1. M. Guilleminault, de Magny-le-Hongre, département de Seine et Marne.