Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/318

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ronne l’orifice de leurs trous. Je faisois donc une pâte composée de six grosses carottes, un pied de céleri, le dedans d’un cent de noix, une livre et demie de pain et un quarteron de noix vomiques pulvérisées, le tout pilé dans un mortier jusqu’à consistance de pâte, dont je formois de petites boules de la grosseur d’une noisette : j’en jetois cinq ou six dans chaque trou de mulot et sur le bord, puis j’enterrois à fleur de terre, à différentes distances, dans le champ qui en étoit infesté, des pots de terre ou des terrines vernissées, remplies d’eau jusqu’à trois pouces environ de leur bord. La noix vomique empoisonne les mulots, les souris et les rats, en leur causant une violente altération ; pour l’appaiser, ils se précipitent dans les pots, d’où ils ne peuvent remonter ; et, dès le lendemain de la distribution de la pâte, dont ils sont très friands, j’ai toujours trouvé les pots remplis de mulots noyés. Il ne m’est jamais arrivé d’être obligé de répéter ce procédé plus de deux fois dans le même champ, pour les détruire pour plusieurs années, quelque quantité qu’il y en ait eue. Cette pâte réussit également pour la destruction des souris et des rats, et n’a pas l’inconvénient de l’arsenic, qu’on emploie fort imprudemment dans les fermes, dans les magasins et dans les raffineries. »

Dans le nombre des procédés auxquels on a attribué la propriété de détruire les mulots et les campagnols, il en est un fort singulier, qui a été publié assez récemment. Il ne s’agit que d’attraper une douzaine de ces animaux, de les renfermer dans quelque vaisseau de bois ou de terre d’où ils ne puissent sortir, et de les y laisser ainsi tous ensemble sans aucune nourriture. On verra, au bout de quelques jours, qu’ils se mangeront les uns les autres, et on aura soin d’observer chaque jour, par un trou qu’on aura ménagé dans le vase, ce qui s’y passe. Lorsque le plus vigoureux sera resté seul de sa bande, on le lâchera ; accoutumé au sang et au carnage, il ne cherchera pour toute nourriture que ses semblables ; il s’introduira au milieu d’eux sans qu’ils en aient la moindre défiance, et les détruira ainsi jusqu’au dernier.

L’on se sert aussi de pièges pour prendre les mulots et les campagnols ; il ne faut qu’une noix grillée pour appât, sous une pierre plate soutenue par une bûchette ; ils viennent pour manger la noix qu’ils aiment beaucoup ; comme elle est attachée à la bûchette, dès qu’ils y touchent, la pierre leur tombe sur le corps et les étouffe ou les écrase. Il faut placer ces pièges de dix pas en dix pas dans toute l’étendue de la terre semée. On détruit également ces animaux en creusant, avec un fer tranchant, de petites fosses, dont les côtés soient coupés net en talus, afin que les mulots et les campagnols qui tombent dans ces trous ne puissent plus en sortir. Si l’on fait suivre la charrue par des enfans qui les tuent, à mesure que le soc, ouvrant leurs retraites, les force à courir sur la terre, on peut espérer d’en faire périr un grand nombre.

Tous ces expédiens, qu’il ne faut cependant pas négliger, ne doivent être regardés que comme des moyens secondaires. Il en est de plus puissans et de plus vastes ; ils consistent à ne pas contrarier la nature, et à laisser agir cette mère prévoyante qui par-tout a placé le remède à côté du mal. Indépendamment des grandes pluies et des inondations, dont l’effet salutaire est de noyer dans leurs trous les mulots et les campagnols, une tribu presqu’entière d’oiseaux a été placée par la nature pour s’opposer à la propagation trop rapide de ces animaux, et de quelques autres non moins destructeurs. La plus grande partie des