Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/32

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les matières fécales doivent, sous ce rapport, être considérées comme le plus puissant des engrais, puisque l’homme se nourrit des alimens les plus substantiels.

Malgré l’abondance de cet engrais, et la facilité qu’on trouve à se le procurer, il n’en existe cependant aucun qui soit plus dédaigné, et qu’on laisse perdre avec plus d’insouciance ; le tort qui en résulte pour l’agriculture est incalculable : nous n’avons en France qu’un très-petit nombre de départemens où cette matière soit employée à féconder la terre ; et même son usage n’est général que dans la ci-devant province de Flandre. Il est donc très-important de réveiller l’attention des cultivateurs sur ce moyen d’amélioration, et de leur démontrer les avantages qu’ils peuvent en retirer.

Le dégoût que l’on éprouve pour ces sortes de matières, s’oppose à ce qu’on en fasse l’emploi auquel la nature semble les avoir destinées. Mais une délicatesse de ce genre est toujours mal placée ; d’autant qu’elle est plutôt l’effet d’un préjugé ridicule, que celui d’un inconvénient réel.

Nous voyons que les ouvriers accoutumés à transporter et répandre sur les champs cet engrais, n’éprouvent pas une plus grande répugnance pour ce genre de travail, que pour le maniement des autres fumiers. Il sera facile, dans les endroits où ces matières ne sont pas employées, de persuader insensiblement les gens de la campagne d’en faire usage. On leur promettra une récompense, ou bien on augmentera leur salaire, jusqu’à ce qu’ils aient surmonté le préjugé, ou vaincu la répugnance qu’ils éprouvent à exécuter ce genre de travail. Les particuliers qui voudront faire ce petit sacrifice, en seront amplement dédommagés par les avantages qu’ils en retireront.

Quelques personnes rejettent l’emploi des matières fécales, parce qu’elles prétendent qu’elles communiquent un goût fort et désagréable, non seulement aux légumes, mais encore aux grains et aux fourrages. Nous ne prétendons pas nier que cet engrais ne puisse donner un goût aux végétaux, lorsqu’on l’emploie frais en grande abondance, et sans l’avoir préparé convenablement ; mais, si cet inconvénient existe, ce qui n’a jamais été bien constaté par l’expérience, on le fera cesser en employant les matières fécales ainsi que nous l’indiquerons.

On a prétendu aussi que ces matières avoient trop d’activité, et qu’elles détruisoient les plantes, au lieu de faciliter leur végétation ; mais la force et la chaleur dont elles sont douées ne les rendent que plus précieuses, puisqu’à très petite quantité, elles peuvent produire de grands effets : il suffit de les employer avec discernement et précaution. On pare en effet à cet inconvénient en les mélangeant avec de l’eau, ou avec des terres, des boues, et d’autres substances de cette nature ; et en leur laissant prendre un degré de fermentation qui détruit une partie de leur activité, et la communique aux matières avec lesquelles

    fournissent encore un aliment avec lequel on engraisse les bœufs et les cochons. « Non solum ad agrum utile, sed etiam ad cibum ita bubus ac subus, ut fiant pinguer. » On voit dans la Bible, au quatrième Livre des Rois, Chap. 6, qu’au siège de Samarie, la quatrième partie d’un cabas (un demi-litron) de fiente de pigeon, fut vendue cinq pièces d’argent (7 francs 60 centimes.) Il paroit que les Juifs mangeoient, dans certaines circonstances, les excrémens humains. Dieu ordonna au prophète Ezéchiel de manger son pain après l’avoir couvert d’excrémens. Comedes illud, et stercore quod egreditur de homine operies illud. » (Ezéchiél, Chap. 4, verset 12.) Les porcs et d’autres animaux ont un goût décidé pour cette matière. Ces différens faits prouvent que la végétation peut en retirer de grands avantages.