Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/353

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auroit empêché la perte de cette énorme quantité d’œufs qu’on laisse gâter, en voulant les conserver, moyen qui auroit fait diminuer le prix de cette denrée, qui auroit donné en abondance des œufs frais dans la saison où on n’en trouve que de vieux, qui auroit procuré dans les voyages de long cours l’avantage inappréciable de manger des œufs excellens, comment un moyen qui intéresse tous les hommes a-t-il pu être négligé ? C’est vraisemblablement qu’il faut en rabattre des magnifiques promesses de Réaumur. Car il n’est pas démontré, en effet, que ces différens vernis, qui remédient très-bien à l’évaporation de l’humidité des liqueurs contenues dans l’œuf, soient le préservatif assuré du germe dont l’existence est, sans contredit, un obstacle à la longue conservation des œufs.

Commerce et transport des œufs. Quoique les diverses classes d’œufs présentent des différences par rapport à la grosseur, il ne paroît point que dans les marchés leur prix soit en raison de cette différence ; les acheteurs choisissent les plus gros, et ne les paient guères au delà de trois centimes de plus par douzaine. Certes, cette différence dans le prix n’est pas dans la proportion du volume ; car il y a des œufs dont la douzaine pèse trois fois de plus que le même nombre de plus petits : ce sont les regrattiers qui en font le triage ; ils mettent les plus gros à part, pour les vendre davantage, ainsi que cela se pratique dans les grandes villes ; ils font, à cet égard, ce que font les écosseuses de pois, ou les propriétaires des câpriers, dans les cantons méridionaux.

Dans le commerce des œufs, à Paris, on en distingue de trois qualités : les œufs de Normandie, ce sont les plus gros ; les œufs de Picardie, ce sont les plus petits ; et ceux de Flandre, qui tiennent le milieu pour le volume. On conçoit qu’une denrée dont la fragilité exige des soins et des frais d’emballage ne sauroit guères provenir d’une plus grande étendue de rayon. Mais le volume, comme l’on sait, appartenant aux espèces de poules, la qualité des œufs est absolument la même. Dans la ci-devant Picardie, ce sont particulièrement les ouvrières en dentelles qui se chargent de conserver les œufs pondus en automne, pour les vendre dans la saison où les poules n’en donnent plus ; elles les achètent à mesure qu’ils sont pondus, chez les fermiers, pendant les mois d’octobre et de novembre ; elles les rangent sur des tablettes placées contre les murs de leurs chambres, où ils sont à l’abri du froid ; elles les retournent très-souvent pour empêcher que le bois qui pourroit renfermer de l’humidité ne la leur communique. Tous les huit jours elles les présentent à la lumière d’une chandelle ; ceux qui se sont un peu vidés par l’évaporation insensible, sont aussitôt vendus aux hommes qui font cette espèce de courtage, c’est-à-dire aux coquetiers qui achètent dans les petits marchés des bourgs et en parcourant les campagnes où ils font souvent des échanges à bon compte ; en sorte que, par ce moyen, il sen ramassent à bon compte de grandes quantités qu’ils portent ensuite, soit aux marchés des villes voisines, soit directement à Paris.

Quoique les œufs coûtent des frais d’emballage et de transport, qu’il s’en casse beaucoup avant, pendant et après la route, ils reviennent ordinairement à meilleur marché à Paris, que dans les départemens qui n’en sont pas trop éloignés, et d’où même on les tire, excepté néanmoins les œufs frais du jour, qui y sont mieux payés en raison des besoins.

Les cultivateurs qui portent chaque semaine leurs œufs aux marchés des villes qui les avoisinent, procèdent de la même manière ; il leur arrive souvent que, malgré leurs soins, ces œufs s’altèrent et se gâtent ; mais cette altération ne vient pas seulement de la perte de leur humidité, qui fait rompre l’équilibre de leurs principes, ou parce qu’ils reçoivent en échange de cette humidité des miasmes putrides ; il existe une autre cause de corruption qui n’a pas échappé aux marchands d’œufs ; une longue expérience leur a appris que les œufs transportés à la distance de trois à quatre lieues se conservent moins bien que ceux qui n’ont subi aucun déplacement quelconque. Quelle en est la raison ? C’est que dans les transports par terre, les œufs souffrent du cahot des voitures, et que dans ceux par mer, ils sont maltraités par les roulis des bâtimens ; que ces mouvemens plus ou moins brusques désorganisent les parties intérieures de l’œuf ; qu’ils rompent les ramifications des vaisseaux par lesquels le germe étoit attaché à la membrane du jaune ; que ce germe privé des organes qui entretenoient la vie, meurt, se corrompt, et corrompt tout ce qui l’entoure. Quand un œuf fécondé a été secoué, si on le casse peu de temps après, on remarque que le globe, qui est le jaune, ne nage plus en entier dans l’albumen, qui est le blanc, et que, par conséquent, il devient infiniment plus susceptible de s’altérer.

On conçoit facilement que s’il n’y avoit que des œufs clairs dans le commerce, il n’y auroit aucune secousse à craindre ; le germe pourroit bien se détacher des ligamens qui l’at-