Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/354

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tachent au jaune ; mais n’étant pas fécondé, il n’auroit pas, comme tout ce qui est animalisé, une propension à s’altérer ; les moyens d’ailleurs proposés et employés pour les conserver en bon état auroient infiniment plus de succès.

Ainsi, il faudroit, par addition au procédé de Réaumur, ne transporter les œufs par terre et par mer, qu’avec la précaution de les suspendre de manière à ce que tous les mouvemens qui pourroient leur nuire fussent brisés ; encore n’est-on pas complètement rassuré contre tout danger, lorsqu’on considère que le germe, sans éprouver d’accident, peut mourir, et qu’il est mort dans l’œuf gardé au delà du temps où il peut encore être couvé ; peut-être qu’il ne faut qu’un coup de tonnerre pour faire périr le germe même dans les œufs frais. Il passe pour constant que ce météore produit un effet sur les embryons des œufs en incubation : ne seroit-il pas possible qu’il en produisît un pareil sur ceux des œufs mis en magasin ? On sait que dans les corps organisés, la corruption commence toujours par les germes. D’après ces considérations, le moyen le plus efficace pour le commerce et le transport des œufs seroit de n’avoir que des œufs clairs, c’est-à-dire des œufs pondus par des poules qui n’auroient eu aucun commerce avec des coqs ; et il est prouvé que ces œufs qu’on nomme clairs, résistent sans se corrompre à une température de trente-deux degrés, continuée pendant trente à quarante jours, que seulement ils perdent de leur humidité, par une évaporation qui diminue leur liqueur et l’épaissit.

Pour les conserver mangeables, sans cuisson préalable, depuis le printemps jusqu’à la fin de l’hiver, il faudroit d’abord que les femelles eussent été privées, depuis au moins un mois, de l’approche du coq ; et si on les avoit destinés à être gardés encore plus long-temps, qu’ils eussent été vernissés ou graissés.

Les œufs pondus à bord des vaisseaux sont d’une garde plus facile, parce que les poules qu’on embarque n’ont pas de communication avec les coqs. Moreau, aide-timonier d’un des vaisseaux qui ont fait le tour du monde dans l’expédition du capitaine Baudin, assure avoir vu des œufs ainsi pondus se conserver en bon état pendant trente-deux mois ; et Hamelen Densarts, capitaine de frégate du même voyage, a certifié qu’il en avoit conservé pendant trois ans dans le meilleur état. Combien ne seroit-il pas utile, pour interrompre la monotonie de la nourriture sèche, salée et trop uniforme du navire, de pouvoir faire entrer les œufs au nombre des approvisionnemens de la marine ? Il est étonnant que la Société royale de Médecine, consultée par le gouvernement sur les moyens de perfectionner la nourriture des navigateurs, semble avoir oublié de parler des œufs. Je vais, autant qu’il m’est possible, suppléer à son oubli.

Des œufs en mer. Les œufs durs, lorsqu’ils ont été cuits nouvellement pondus, ont l’avantage de se conserver et de pouvoir être portés commodément en voyage. On a pensé, dans les Indes-Occidentales, à les rendre d’une garde encore plus certaine, en les salant ; mais une pratique adoptée autrefois, c’étoit de délayer les jaunes d’œufs dans le vinaigre, d’en remplir des tonneaux pour en former un des approvisionnemens des armées.

Il faut remarquer que si, jusqu’à présent, on n’a point encore admis les œufs au nombre des vivres de mer, ce n’est pas seulement parce que cette denrée est fragile et d’une embarcation difficile, mais parce qu’elle se gâte plus promptement en mer que sur terre, à cause du mouvement et de l’atmosphère humide et chaude dans laquelle ils sont exposés, malgré toutes les précautions employées pour prévenir leur altération. C’est sans doute à ces circonstances qu’est dû le supplément des œufs par des poules vivantes, qu’on nourrit dans des cages.

Mais l’entretien des cages à poules, dans les vaisseaux, est sujet à beaucoup d’inconvéniens : 1°. le mal de mer les incommode, et les fait maigrir ; 2°. elles sont beaucoup tourmentées par les rats ; 3°. les eaux, lorsqu’elles commencent à se corrompre, leur sont nuisibles, en sorte qu’il faut jeter des quantités de volailles mortes par toutes les circonstances énoncées.

Il n’est pas douteux que si, au moyen de l’immersion instantanée des œufs dans l’eau bouillante, on vient à bout de les conserver dans l’état frais, et qu’on puisse, au bout de quelques mois, les manger à la coque, ce succès ne soit dû à ce que, dans cette opération, on auroit produit sur l’œuf cet effet que le vulgaire nomme tuer le germe, lequel n’est autre chose que cette tendance des parties organiques en mouvement de fermentation, qui en accélère le dépérissement.

Dès que la volaille arrive dans le port, elle est mise sur les vaisseaux ; et elle vient quelquefois de bien loin. L’incommodité qu’elle éprouve, jointe à la fatigue du voyage qu’elle vient de faire, en fait périr le plus grand nombre, de manière que, sur cent individus