Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais les œufs de poule sont sans contredit, au jugement de ceux qui ont eu occasion de les examiner avec soin et de les comparer, à ceux de tous les oiseaux de basse-cour, les meilleurs et les plus délicats à manger : aussi sont-ils d’un usage journalier, et apporte-t-on beaucoup de soins pour en recueillir le plus qu’il est possible, soit pour la consommation du ménage, ou pour en faire le commerce.

C’est sur-tout comme œuf frais cuit à la coque, que l’œuf de poule a une supériorité marquée sur les autres œufs des oiseaux de la basse-cour : il est le seul qui fournisse ce liquide blanc qu’on a cru être du lait, et qui disparoit vingt-quatre heures après. On a pensé que dans cet état il possédoit une vertu tellement restaurante qu’il étoit prescrit aux convalescens et aux vieillards ; que le retour à la santé dépendoit de l’usage qu’on faisoit des œufs frais pendant la convalescence ; qu’il prolongeoit la vieillesse, et que c’est par ce moyen que le pape Paul a eu de longs jours, en mangeant, à la coque, deux œufs frais tous les matins. L’illustre Daubenton, mangeoit, dans les vingt dernières années de sa vie, tous les jours deux œufs frais.

Les anciens désignoient sous différens noms les œufs, suivant leur degré de cuisson : ils étoient dans l’opinion que, cuits à la braise ou dans l’eau bouillante, leurs effets devoient varier. L’habitude dans laquelle ils étoient de faire constamment de l’usage des œufs frais la base du régime des convalescens, a donné lieu à une brochure assez plaisante, mais remplie d’érudition, publiée en 1585, par Prudent le Choiselat, procureur du roi à Sesannes : il y démontre que, moyennant un capital de 400 livres, un homme économe, actif et intelligent, peut se faire un revenu de 4,500 liv. Le secret de l’auteur consistait à avoir de bonnes poules pondeuses, à maintenir longtemps la ponte, et à en vendre journellement les œufs aux amateurs alors fort nombreux, au point que l’auteur, qui s’étoit ménagé des prôneurs pour le débit de sa denrée, les récompensoit en nature, c’est-à-dire avec la même monnoie.

C’est de l’ouvrage dont nous parlons, que vient une espèce de maxime proverbiale énoncée dans le Théâtre d’Agriculture d’Olivier de Serres, qu’un œuf d’un jour vaut de l’or, un œuf de deux jours de l’argent, et un œuf de trois jours, du plomb. Mais malgré les assertions des anciens médecins, qui attribuent des propriétés à tout ce qui existe, un œuf, pour être vieux, n’est pas malsain, à moins rependant qu’il ne soit altéré ; et alors on ne doit en faire usage sous aucune forme : mais si ce sont des œufs clairs, et qu’ils aient été bien conservés, il sera possible, au bout d’une année, de les manger, sinon à la coque, du moins de toutes les autres manières employées pour les apprêter.

Les œufs peuvent perdre de leur qualité par la nature des alimens dont les poules font usage à un certain degré ; et quoique nous ayons prouvé que la nourriture n’a aucune influence sur leur volume, elle peut cependant déterminer une nuance de saveur, de couleur et de consistance, que les organes exercés saisissent facilement.

Lorsque, par exemple, les poules avalent beaucoup de hannetons et d’autres insectes, dans la saison où ils sont abondans, et sur-tout les larves des vers à soie, qui deviennent pour elles une friandise, les œufs mangés à la coque n’ont pas autant de délicatesse. L’orge fonce la couleur du jaune, et augmente le liquide qu’on appelle le lait ; les herbes, et spécialement la laitue, augmentent leur fluidité ; enfin, l’usage des bourgeons de sapin leur communique une odeur de résine, et la graine de gentiane une saveur très-amère.

On peut, dans tous les temps, se garantir des inconvéniens que nous venons d’énoncer, et conserver aux œufs de poule les avantages que personne ne leur conteste, en prévenant qu’elles ne fassent aucun excès en ce genre. Une nourriture trop abondante nuit à la ponte, et peut préjudicier aussi à la qualité des œufs. Tous ces grains, comme le sarrasin, le chènevis, l’avoine et l’orge, auxquels on attribue des effets diamétralement opposés, ne les doivent peut-être qu’à la quantité qu’on en administre.

C’est sans doute à un mélange de grains de toute espèce, et à quelques insectes que les poules à demi-sauvages ramassent toute la journée dans la cour de la ferme, une partie de l’année, que l’on doit la bonne qualité des œufs qui nous sont apportés de la campagne, et qu’on fait cuire à la coque. On pourroit leur procurer cette espèce de glanage, en disséminant quelquefois du grain dans le fumier, ou dans un terrain meuble, qu’on recouvriroit avec la herse, afin qu’elles puissent gratter et se vautrer sans blesser leurs ongles. Il ne faut pas qu’elles mangent trop à la fois, parce qu’étant oisives dans la journée, elles cessent de pondre.

Si les œufs d’oie et de cane conviennent