contient, ainsi que nous l’avons fait voir les premiers, mon collègue Deyeux et moi, du soufre, de l’albumine, de la gélatine et de la soude caustique.
Ce goût décidé qu’ont les poules et la plupart des oiseaux, pour les œufs crus ou cuits, est tellement impérieux, que souvent il y a des femelles qui mangent les leurs à mesure qu’elles les pondent, et auxquelles il n’est guères possible de confier ceux d’une autre poule pour l’incubation. Comme on ne sauroit réprimer ce goût déréglé, il faut nécessairement se défaire des femelles qui ont un pareil défaut. Toutes, heureusement, ne l’ont pas : il semble même, d’après les relations des voyageurs les plus dignes de foi, que l’instinct des oiseaux sauvages les porte à se ménager, dans la saison de la ponte, pour leur progéniture, la ressource des œufs. M. Levaillant a eu plus d’une fois occasion d’observer, en Afrique, que l’autruche plaçoit toujours, à portée de son nid, un certain nombre d’œufs proportionné à ceux qu’elle destine à la couvaison.
C’est cette prévoyance admirable, de la part de l’autruche, pour la première nourriture de ses petits, qui a fait croire que la mère se dispensoit du soin de couver ses œufs, et qu’elle les abandonnoit à la température du sable sur lequel elle les déposoit, pour faire éclore les autruches. Mais le voyageur déjà cité dit avoir rencontré beaucoup de nids d’autruche, depuis le Cap de Bonne-Espérance jusqu’au vingt-deuxième degré, et que nulle part il n’en a vu un seul qui ne fût couvé par une femelle de concert avec le mâle ; mais poursuivons l’examen de l’œuf comme nourriture.
Il n’y a pas de doute que, quoique formé des mêmes principes, l’œuf ne possède quelques qualités intérieures qui puissent servir à en manifester l’origine ; mais ce sont des nuances trop légères pour pouvoir déterminer leurs différences comme aliment ; et nous savons que, dans un grand nombre de cas, l’odeur et le goût particulier de la chair des oiseaux ne se communiquent nullement à leurs œufs. Plusieurs auteurs de matière médicale observent qu’il existe certaines poules de mer, dont les œufs ne diffèrent en aucune manière de ceux de nos oiseaux de basse-cour, quoique leur chair ait une odeur et un goût extrêmement forts. Enfin, les œufs de la tortue caret ne participent point de la malfaisance de sa chair : ils passent même pour être plus délicats que ceux des autres espèces de tortues marines, qu’on mange également. Selon Belon, les œufs de tortue de mer sont préférés.
Tous les œufs, soit sauvages, soit domestiques, sont donc excellens à manger ; mais tous ne nourrissent pas au même degré : dans le nombre, il s’en trouve de meilleurs les uns que les autres. On a cru pendant long-temps que les œufs des palmipèdes étoient lourds et difficiles à digérer ; mais cette assertion paroît dénuée de fondement, et nous ne citerons qu’un fait pour le prouver.
Dans la Picardie, les femmes de campagne sont fort empressées de rechercher les œufs de cane, avec lesquels elles font leurs gâteaux. Comme il s’établit parmi elles une sorte d’émulation pour faire briller, dans les grandes solennités, leurs talens en fait de pâtisserie, il n’est pas rare, aux approches d’une fête religieuse, de les voir courir à trois ou quatre lieues à la ronde, pour se procurer de ces œufs, qu’elles emploient de préférence, parce qu’ils donnent un meilleur goût, une plus belle couleur, et n’exigent pas autant de beurre. À la vérité, si au lieu de levure elles ne se servoient que de levain de pâte ordinaire, leurs gâteaux seroient plus délicats, et ne sécheroient pas si promptement ; nous ajouterions que quelques jaunes d’œufs de cane brouillés avec des œufs de poule ordinaire, rendroient les omelettes plus délicates, s’il n’étoit pas plus économique de les réserver pour la couvaison, et de les consommer ensuite sous la forme de canards.
On peut dire en général que les indigestions d’œufs sont inconnues, et qu’il existe peu d’alimens qui conviennent mieux à tous les âges, à toutes les constitutions ; et quand on les accuse d’incommoder, c’est plutôt à la manière de les apprêter, qu’à la nature même de leur composition, qu’il faut s’en prendre. Alors, quel est le genre de nourriture qu’on ne puisse inculper ?
Indépendamment de la faculté alimentaire des œufs, on leur a attribué encore quelques propriétés particulières, il a existé une sorte de prédilection pour la forme : Horace prétendoit que les œufs longs étoient infiniment meilleurs que les ronds ; mais en général il n’est pas facile d’établir le degré de bonté et de nutrition de deux matières du même genre, provenant de source différente, et examinées dans les mêmes circonstances, sur-tout lorsqu’on en fait usage, pendant un certain temps, sous la même forme, et que, pour les consommer, on est obligé de les associer à d’autres comestibles et à des assaisonnemens.