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lève un œil sur un pied d’orme panaché naturellement, il fournira certainement une pousse panachée, tandis que le pied sur lequel il a été pris cessera de l’être l’armée suivante. C’est en saisissant ainsi, pour ainsi dire à la volée, des variétés, qu’on a doublé, triplé, quadruplé et même quintuplé quelques espèces, qu’on en a obtenu d’un aspect très-bisarre. Par exemple, l’érable platanoïde a fourni une variété dont la feuille a l’apparence à moitié desséchée ; le frêne a donné celle dont le bois est jaune et celle qu’on appelle parasol, dont les branches se recourbent constamment vers la terre ; l’orme nous en fait voir une dont les feuilles sont presque complètement blanches. Le houx seul en présente sept à huit, telles que celui à larges feuilles, à petites feuilles, à feuilles lancéolées, à feuilles hérissonnées, à feuilles panachées de jaune, à feuilles panachées de blanc, à feuilles tachetées de blanc dans leur milieu, etc. Un pépiniériste doit donc, lorsque le hasard lui procure une variété nouvelle, la fixer par la greffe. La science botanique n’y gagnera rien, il est vrai, mais les jouissances de l’homme en seront augmentées ; car, qui est-ce qui peut nier que la rose double ne soit plus agréable que la rose simple ?

Les arbres et arbustes de la troisième et de la quatrième classe sont ceux qui exercent le plus les pépiniéristes dont je décris en ce moment les travaux. Tous supportent nos hivers en pleine terre ; mais tous ont besoin de soins pendant leur enfance. C’est principalement pour eux qu’il est nécessaire de former des abris, de composer ou de choisir des terres particulières, etc.

La nature a voulu que la plupart des plantes fussent organisées pour croître sur tel sol plutôt que sur tel autre, et ce n’est presque jamais impunément qu’on contrarie cette destination ; cependant quelques uns se prêtent plus facilement à un changement à cet égard. Ainsi, le saule est évidemment un arbre aquatique, et cependant il pousse passablement bien dans un terrain sec ; mais jamais on ne pourra élever la bruyère sur un sol argileux. La connoissance des faits de ce genre, applicable à toutes les espèces d’arbres et d’arbustes qu’on cultive pour l’agrément, forme la partie la plus importante et la plus difficile de la science du pépiniériste ; mais il est peu d’entr’eux qui puissent s’astreindre à suivre rigoureusement à cet égard l’indication de la nature. Tous en général se contentent d’en approcher assez pour que la plus grande masse possible d’espèces puisse entrer dans leur culture, et telles de ces espèces qui ne se prêtent pas, à cet égard, au vœu de leur paresse ou de leur ignorance, sont traitées de rebelles et abandonnées comme ingrates.

On range sous deux dénominations générales les terres que l’on emploie pour cultiver les articles dont il est ici question ; savoir, terre franche et terre de bruyère ; mais elles se subdivisent ensuite sans fin, relativement aux proportions de leur composition.

La terre franche est celle qui contient de l’argile, du sable ou du calce, ou l’un et l’autre, et de l’humus, ancien détritus des végétaux. Elle est regardée comme excellente, lorsque ces matériaux y entrent par tiers ou par quart. Cette terre est très-substantielle et conserve long-temps l’eau des pluies. Lorsqu’elle est trop argileuse, on y ajoute du sable ; lorsqu’elle est trop sablonneuse, on y met de l’argile, et lorsqu’elle est trop maigre, on l’engraisse avec du fumier, du terreau de couche, du gazon, des curures d’étang, etc.

La terre de bruyère est une terre qui ne contient que du sable et de l’humus. Elle est estimée la meilleure lorsqu’elle contient un tiers ou même seulement un quart de ce dernier. Cette terre est par conséquent peu substantielle et laisse passer très-facilement les eaux de pluie. Lorsqu’elle est trop maigre, on y ajoute du terreau de feuilles ou du terreau de couche : tout autre mélange l’altérerait. On ne la trouve que dans certains cantons où elle est annoncée par l’arbuste qui lui a donné son nom. Pour la remplacer dans les pays qui en sont privés, il faut la composer artificiellement, soit avec du grès pilé, soit avec d’autres pierres quartzeuses, également pilées et passées dans un tamis de fil de fer assez fin pour que les plus gros grains ne surpassent pas une demi-ligne de diamètre. Le résultat se mélange dans les proportions indiquées avec du terreau de couche.

La terre de bruyère étant toujours friable, est très-propre à recevoir les plantes délicates ou dont les racines ne seroient pas assez fortes pour s’introduire dans la terre franche. Elle est sur-tout éminemment bonne pour la germination des semences dont la radicule n’a besoin de trouver que très-peu de substance nutritive dans la terre, attendu que les cotylédons lui fournissent la majeure partie de celle qui lui est nécessaire. De plus, elle absorbe, à raison de sa couleur noire, les rayons du soleil, et conserve la chaleur, qu’ils lui communiquent aussi bien que le meilleur terreau de couche. Aussi toutes les plantes, même les