Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/519

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qu’elles renferment tous les principes qui constituent le corps alimentaire ; que la plupart portent leur assaisonnement avec elles, et n’ont besoin que de la simple cuisson dans l’eau ou sous les cendres, pour devenir un comestible salutaire ; qu’enfin, réunies plusieurs ensemble, elles forment des potages que le suc de nos viandes peut à peine imiter. Considérons-les maintenant sous le double rapport de la nourriture qu’elles peuvent procurer et aux hommes et aux animaux.

Des racines potagères pour la nourriture de l’homme. Ouvrons les meilleurs traités d’économie rurale et domestique, nous verrons les racines potagères servir, une grande partie de l’année, de fondement à la subsistance de plusieurs cantons. Parcourons ensuite la Flandre, la Lorraine et l’Alsace, et nous serons convaincus que ce nombre considérable de domestiques, cette quantité d’animaux de toute espèce que renferme chaque métairie, dans ces anciennes provinces, ont pour base de leur nourriture l’usage des racines potagères. Elles favorisent la multiplication des bestiaux, le nettoiement des mauvaises herbes, et l’abondance des engrais. Dans ces cantons, les hommes sont vigoureux, bien nourris, bien vêtus ; ils ne doivent rien à leurs propriétaires et aux percepteurs.

Mais, si une longue expérience a prouvé qu’il n’y a pas de terrains, de climats et d’aspects ou l’on ne puisse faire prospérer les racines potagères, qui pourroit donc nous empêcher d’en recueillir les avantages ? Les unes aiment les fonds bas et humides, les autres se plaisent dans les terres qui vont en pente, et sont d’une qualité légère ; mais, en général, c’est ans les terrains chargés de sable et de gravier, qu’elles réussissent le mieux, et, quelle que soit leur aridité, elles peuvent y être appropriées, sans nuire à la culture des grains, toujours plus abondans, quand ils leur succèdent. La plaine Saint-Denis, comparable autrefois à la plaine des Sablons, n’offre-t-elle pas aujourd’hui le tableau le plus intéressant du plus riche potager ?

Ces avantages sont si bien connus des Irlandais, que, pour améliorer leurs terres et y faire ensuite de riches moissons, beaucoup de fermiers sont dans l’usage de louer, pour une somme modique, leurs terres légères contre deux récoltes de grains, à des cultivateurs qui les couvrent de plantes potagères, dont le succès est assez constant, parce que ces plantes, à l’exception des pommes de terre, sont toujours arrachées avant la fleuraison, c’est-à-dire avant le moment où le végétal, occupé de former les principes de la génération future, exige le plus du sol. D’ailleurs, les racines, par leur forme, laissent intacte toute la substance de la terre qui avoisine la surface, et le blé est plus beau sur un champ qui vient de produire des turneps et des carottes, que sur celui qui aura rapporté d’autres grains.

On a une si haute idée de l’effet salutaire et nutritif des racines potagères, qu’on a proposé, dans ces derniers temps, de les réduire sous forme sèche et pulvérulente, pour en jouir dans les contrées lointaines, ou lorsque la saison ne permet plus de s’en procurer de fraîches. Renaud, entr’autres, avoit présenté des échantillons de ce nouveau genre d’approvisionnemens au maréchal de Castries. Consulté sur les avantages que la marine pourroit en retirer, je crus devoir saisir l’occasion d’un voyage de long cours, pour en apprécier la valeur ; en conséquence je déterminai le ministre à donner des ordres pour qu’il fût embarqué, à bord des bâtimens que commandoit l’infortuné la Pérouse, une certaine provision de poudre de racines, et je rédigeai une instruction pour s’en servir.

Cependant, tout en applaudissant à