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Soupe au blé. Le maréchal de Vauban, ce guerrier philanthrope, nous a laissé dans ses manuscrits la recette d’une soupe économique, dont il proposoit l’usage pour les soldats, préférant cette nourriture à celle d’un pain mal pétri, plus souvent encore mal cuit et composé quelquefois de farines avariées, parce qu’alors les vivres étoient beaucoup moins bien administrés qu’aujourd’hui.

Cette recette consiste à prendre une livre de froment bien lavé qu’on fait macérer pendant toute une nuit ; on la renouvelle ensuite, et on fait bouillir jusqu’au moment où le grain crève ; puis on l’écrase avec une cuiller à pot, comme pour une purée ; après cela, on prend un quarteron de lard divisé par morceaux, comme de gros lardons ; on le fait fondre à part avec un ognon, des poireaux ou des ciboules, ou toute autre espèce d’assaisonnement. On y ajoute du sel, et on cuit le tout avec le lard fondu ; on verse ensuite de l’eau dans la marmite, on remue bien, on laisse bouillir de nouveau un certain temps, moyennant quoi la soupe est en état d’être servie et mangée.

D’après le calcul de Vauban, deux livres de froment, un quarteron de lard, ainsi traités, sont en état de fournir trois rations, dont chacune revenoit, dans le temps, à neuf deniers. Il ajoute que cette soupe deviendroit plus substantielle en substituant de l’orge mondé au blé.

Cette dose, comme on sent bien, peut être augmentée ou diminuée pourvu qu’on observe la même proportion ; il est possible aussi, à la place de lard, d’employer une autre viande ou graisse, quand on a la facilité d’en avoir.

Tout en applaudissant aux vues d’utilité dont Vauban étoit animé pour la conservation et le bonheur du soldat, nous ne pouvons nous dispenser de faire remarquer que s’il est facile d’avaler l’enveloppe des semences légumineuses lorsqu’elles sont dans leur état d’intégrité, rien n’est plus désagréable que de la rencontrer sous la dent dès que ces graines sont en purée. Or, l’écorce du blé avec le germe ne formant dans la soupe dont il s’agit aucune combinaison avec l’eau, devenus même par la cuisson une matière cornée, la mastication ne sauroit les broyer que difficilement, ce qui produit dans la bouche et à la gorge un effet désagréable.

On a droit d’être étonné que Vauban, qui n’a pas dédaigné de descendre à la considération des premiers besoins du soldat, n’ait pas songé à faire dépouiller et écorcer le blé, puisque, dans son temps, il y avoit déjà à la suite des armées des moulins à bras ; la farine blutée, employée à la place de grain, auroit épargné par conséquent beaucoup d’embarras, de temps et de combustible, en même temps qu’il en seroit résulté une soupe plus agréable, plus digestible et plus homogène.

Une autre remarque peu favorable encore à cette soupe, c’est que le froment qui en est la base, est regardé avec raison comme le farineux le moins propre à ce genre de préparation, et le plus convenables la panification ; la farine d’orge devroit, dans ce cas, lui être toujours substituée, d’autant mieux qu’elle a encore l’avantage de coûter environ la moitié moins que celle de froment ; d’ailleurs, en supposant qu’on n’eût que celle-là à sa disposition, il faudroit encore s’y prendre différemment pour la mieux combiner avec la graisse et les assaisonnemens. Avant de l’étendre dans l’eau pour en former un bouillon, on pourroit de plus simplifier et abréger la manipulation, ce qui est très-important, surtout aux armées, où le plus léger embarras rend impraticable la meilleure vue pour l’avantage du soldat.

La composition et la préparation des soupes aux légumes, dites à la Rumford, peuvent être très-applicables à la soupe du maréchal de Vauban, si l’une et l’autre n’avoient des inconvéniens réels à la suite des armées, tandis que celles que nous allons faire connoître peuvent leur devenir d’une grande utilité.

Soupe de farine grillée. Cette soupe n’exigeant pas de longs préparatifs, et étant composée d’ingrédiens peu coûteux, que l’on porte aisément avec soi, elle forme, en Bavière, la nourriture des bûcherons qui sont obligés de s’enfoncer dans les bois. Les pauvres, en Allemagne, et même les paysans qui jouissent d’une certaine aisance, aiment beaucoup cette soupe ; en voici la préparation :

Prenez un petit morceau de beurre, mettez-le sur le feu dans un poêlon de fer ; ajoutez-y quelques cuillerées de farine de froment ou de seigle ; remuez fortement le tout avec une large cuiller de bois, ou avec un large couteau, jusqu’à ce que le beurre soit fondu et que la farine prenne une couleur de brun foncé. Il faut remuer sans cesse pour empêcher la farine de brûler. Une demi-once environ de cette farine, cuite avec trois quarts de pinte d’eau, forme une portion de soupe aussi agréable que salubre, pourvu qu’on l’assaisonne avec du sel, du poivre et du vinaigre,