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allons émettre, c’est moins au sens de la vue, c’est moins à la physiologie qu’à la législation et à l’administration, qu’il appartient de décider de quelle couleur est tel ou tel individu ; ces hommes qui ne sont pas d’un noir bien prononcé, ceux qui ne portent pas d’une manière incontestable et sans mélange les caractères de la race africaine, ne sont pas nécessairement des hommes de couleur ; ils peuvent, selon les circonstances, être considérés comme Blancs.

Il y a long-temps qu’au Brésil les lois qui excluaient les Mulâtres de toutes les dignités civiles et ecclésiastiques sont tombées en désuétude. On trouve des hommes de couleur dans toutes les branches de l’administration, dans le sacerdoce, dans l’armée, et il en est même qui appartiennent à de très-bonnes familles.

Lorsque la naissance, les alliances, les richesses ou le mérite personnel permettent à un Mulâtre d’aspirer aux places, il est rare, ou même il n’arrive jamais que sa couleur ou le mélange de son sang devienne un obstacle pour lui. Fût-il de la nuance la plus foncée, on l’inscrit comme Blanc, et il figure comme tel non-seulement dans les papiers qu’on lui délivre, mais encore dans toute espèce de négociation, et dès-lors il est apte à tous les emplois. Il serait facile de citer de nombreux exemples d’hommes qui occupent les postes les plus distingués, et que l’on compte parmi les fonctionnaires les plus habiles, quoique leur extérieur révèle, à n’en pas douter, le sang indien ou africain qui coule dans leurs veines. Dans le pays cela ne fait aucune difficulté, et quand on en parle, c’est presque toujours pour répondre à la question d’un étranger, jamais dans un esprit de raillerie ou de dénigrement. Sous ce rapport rien ne caractérise mieux l’état des idées dominantes que cette réponse d’un Mulâtre auquel on demandait, en parlant d’un Capitao-mor (le chef d’un district), si ce Capitao n’était pas aussi Mulâtre ? Il l’était, répliqua-t-il, mais il ne l’est plus : era, porern ja nao lie. L’étranger voulant obtenir l’explication de cette singulière métamorphose, le Mulâtre ajouta : pois Senhor, Capitao-mor pode ser Mulato ? comment donc, Monsieur, un Capitao-mor peut-il être Mulâtre ?

Il y a au Brésil des régimens de milice entièrement composés de Mulâtres, et dans lesquels on ne reçoit pas de Blancs ; en revanche la règle s’oppose à ce qu’on admette aucun Mulâtre dans les régimens de ligne. Mais les raisons que nous avons exposées plus haut, y en introduisent beaucoup, même parmi les officiers, ce qui a lieu d’autant plus fréquemment que ce sont précisément les familles riches et considérées, celles établies depuis long-temps au Brésil, qui se sont le plus mélangées de sang africain, sans que cette circonstance ait le moins du monde porté préjudice à leur noblesse, à leur dignité, à leurs prétentions aux grades militaires. Pendant