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que le Brésil était encore sous la domination portugaise, il régnait à cet égard une jalousie prononcée entre les familles les plus anciennes du pays et les nouveaux venus de Portugal qui se prévalaient d’un sang plus pur et d’un teint plus blanc pour appuyer des prétentions que la fierté brésilienne repoussait avec raison.

Les mariages entre Blancs et femmes de couleur sont très-fréquens dans les classes moyennes et inférieures, et n’ont rien de choquant ; on voit même de ces unions dans les classes plus élevées. On ne s’en formalise que quand une femme blanche d’une famille riche et considérée épouse un homme d’une couleur très-foncée ; encore ces unions sont-elles moins un sujet de blâme que d’étonnement.

Un fait qu’on ne saurait nier, c’est qu’au Brésil le public se montre beaucoup plus tolérant pour ces mariages qu’on ne l’est généralement en Europe et dans les mêmes classes de la société à l’égard des mésalliances. Néanmoins c’est chose fort naturelle qu’un Blanc de bonne famille préfère s’allier à une femme blanche ; car les femmes de cette couleur et le sang européen ont toujours l’avantage, et forment une espèce d’aristocratie ; mais cette préférence n’existe qu’en ce sens que, toutes choses étant d’ailleurs égales, la couleur foncée et le sang africain doivent céder le pas. Du reste, un Blanc de distinction se déciderait tout aussi difficilement à s’unir à une femme blanche de basse classe, qu’à prendre une femme de couleur.

Les femmes mulâtres se distinguent par leur amabilité et par les avantages du corps et de l’esprit. Les embarras qui résultent des passions qu’elles inspirent, et des obstacles élevés par leur naissance, amènent souvent des unions d’une espèce très singulière. Qu’un homme considéré éprouve de l’inclination pour l’une d’elles, il arrivera souvent, si des considérations de famille l’empêchent de l’épouser, qu’il la prenne chez lui. Elle demeurera des années entières à la tête de son ménage, ce qui n’empêchera qu’elle ne reçoive et ne rende les visites que lui font des femmes mariées et même les plus estimées. Quelquefois le mariage ne se fait qu’après plusieurs années et quand cette liaison a déjà produit beaucoup d’enfans. Si d’impérieuses raisons contraignent l’homme à prendre une autre femme, il donne une dot à sa Mulâtre, qui trouve facilement un mari de sa couleur et de son état ; car on la regarde comme une veuve, et point du tout comme une femme de mauvaises mœurs. Quelque chose que l’on puisse penser de ces unions, d’après les préceptes ordinaires de la morale et les idées européennes, l’opinion publique les tolère au Brésil, sans y attacher aucun blâme, et même l’expérience a prouvé que le plus souvent elles sont heureuses pour les deux parties, sans compromettre en rien leurs relations sociales. Ordinairement les femmes mulâtres font preuve envers leur ami d’une grande fidélité, et sont capables de soins assidus,