Page:Rugendas - Voyage pittoresque dans le Brésil, fascicule 20, trad Golbéry, 1827.djvu/9

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à cet usage. Les Nègres ont d’ailleurs à redouter les Indiens et la faim ; aussi ne se déterminent-ils guères à pénétrer fort avant dans l’intérieur du pays ni à se perdre dans les forêts. Ils se tiennent donc presque toujours dans le voisinage des lieux habités : or, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’ils sont fugitifs, soit parce qu’on les connaît, soit par cela même qu’on ne les connaît pas ; enfin c’est précisément parce que le nombre des habitans est fort petit que ces évasions réussissent si rarement, bien qu’au premier aperçu cette circonstance semble devoir les favoriser. La punition d’un esclave fugitif est entièrement abandonnée à l’arbitraire du maître.

Quelquefois plusieurs Nègres s’évadent ensemble et parviennent à se procurer des armes à feu : alors ils peuvent réussir à trouver un asile dans l’intérieur des bois, à se nourrir de leur chasse et à se défendre contre les Indiens. Assez fréquemment ces hommes, appelés Nègres des bois (Negros do Matto ou Cajambolas) se forment en troupes plus nombreuses, exercent le brigandage sur les grands chemins et attaquent les voyageurs isolés, les tropas, les caravanes, ou les plantations qui font le commerce de l’intérieur avec la côte. De nos jours il est rarement arrivé que ces Nègres des bois aient causé des inquiétudes sérieuses, comme celles qu’inspirent dans les colonies anglaises les Maraous. Les insurrections de Nègres ont été également rares au Brésil, et n’y ont jamais eu une grande importance.

Il est un fait remarquable dans l’histoire des Nègres du Brésil : c’est la fondation de la ville de Palmares au milieu du dix-septième siècle. Cent ans auparavant quelques troupes nombreuses de Nègres fugitifs s’étaient réunies aux environs de Porto-Calvo dans la province de Pernambuco, et y avaient formé un établissement ; mais ils furent bientôt repoussés par les Hollandais, qui occupaient alors Pernambuco. Cela n’empêcha pas qu’en 1650 il ne s’élevât encore dans la même contrée un établissement de Nègres fugitifs sous le nom de Palmares. Ils enlevèrent toutes les femmes dont ils purent s’emparer, soit qu’elles fussent blanches soit qu’elles fussent de couleur, et bientôt leur nombre s’accrut tellement que les colons des provinces voisines jugèrent plus prudent de traiter avec eux pour se préserver de leurs rapines, que d’avoir recours à la violence pour les expulser. De la sorte ces Nègres parvinrent à se procurer des armes et d’autres marchandises d’Europe en échange des produits des forêts et de leurs propres plantations, et peu à peu l’agriculture et l’industrie vinrent remplacer un genre de vie consacré au brigandage. Après la mort de Hombé, leur premier chef, ils s’organisèrent en royaume électif. Leur religion était un mélange de christianisme et de leur ancien fétichisme. Après cinquante ans d’existence la population de Palmares s’était accrue jusqu’au nombre de 20 000 habitans. Un abbatis protégeait la