Page:Ruskin - La Bible d’Amiens.djvu/28

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s’étant peu à peu hâlée à ce vent humide de la Venise du Nord qui au-dessus d’elle a courbé la flèche, regardant depuis, tant de siècles les habitants de cette ville dont elle est le plus ancien et la plus sédentaire habitant[1], elle est vraiment une Amienoise. Ce n’est pas une œuvre d’art. C’est une belle amie que nous devons laisser sur la place mélancolique de province d’où personne n’a pu réussir à l’emmener, et où, pour d’autres yeux que les nôtres, elle continuera à recevoir en pleine figure le vent et le soleil d’Amiens, à laisser les petits moineaux se poser avec un sûr instinct de la décoration au creux de sa main accueillante, ou picorer les étamines de pierre des aubépines antiques qui lui font depuis tant de siècles une parure jeune. Dans ma chambre une photographie de la Joconde garde seulement la beauté d’un chef-d’œuvre. Près d’elle une photographie de la Vierge Dorée prend la mélancolie d’un souvenir. Mais n’attendons pas que, suivi de son cortège innombrable de rayons et d’ombres qui se reposent à chaque relief de la pierre, le soleil ait cessé d’argenter la grise vieillesse du portail, à la fois étincelante et ternie. Voilà trop longtemps que nous avons perdu de vue Ruskin. Nous l’avions laissé aux pieds de cette même vierge devant laquelle son indulgence aura patiemment attendu que nous ayons adressé à notre guise notre personnel hommage. Entrons avec lui dans la cathédrale.


« Nous ne pouvons pas y pénétrer plus avantageuse-

  1. Et regardée d’eux : je peux, en ce moment, même voir les hommes qui se hâtent vers la Somme accrue par la marée, en passant devant le porche qu’ils connaissent pourtant depuis si longtemps lever les yeux vers « l’Étoile de la Mer ».