Page:Ruskin - Les Matins à Florence.djvu/24

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avec révérence grâce à quoi j’attrapais un regard bienveillant, un salut ou peut-être une vague esquisse de bénédiction. Lorsque j’étais fatigué de dessiner, je m’en allais dans la Spezieria, et j’apprenais quelles ineffables douceurs et quels encens demeurent dans les herbes et les feuilles qui ont fait passer dans leur vie les rayons du soleil de Florence, et j’achetais de petits paquets de flacons long d’un pouce et gros comme des tuyaux de plumes de dimensions modérées, où l’on avait renfermé tous les parfums de l’Arabie et tous les arômes d’une ou de deux îles aux épices.

Plus tard, l’après-midi, un peu de travail dans la rue ou au musée, et, après dîner, toujours une ascension à Fiesole ou à San Miniato. Dans ces jours-là, il me semble qu’il ne pleuvait jamais, sauf quand on en avait besoin et encore pas toujours ; où que vous fussiez, si vous vous sentiez fatigué et si vous n’aviez pas d’ami pour vous ennuyer, vous n’aviez qu’à vous étendre sur le bord de la route et à vous endormir au chant des cigales lequel, avec une grande somme de bonne volonté, peut, à la fin, quelquefois sembler charmant...[1] »

Ruskin revint souvent en Toscane, mais les impressions de jeunesse demeurent toujours les plus fortes. C’est elles qui conservent à ces pages publiées longtemps après, malgré la fuite des années et la chute des rêves, leur charme indélébile, — comme celui de ces petits flacons de la Spezieria où il croyait respirer les effluves embaumées de toute l’Arabie heureuse, et, par-dessus le marché, d’une ou de deux îles...

Robert de la Sizeranne.
  1. Prœterita, vol. II, ch. vii, Macugnaga.