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d’un navire ne l’éloignent du ciel ? La philosophie critique ne nous délivrera-t-elle pas plus promptement du rationalisme utilitaire que les prêches les mieux inspirés, et ne faut-il pas que cette crise d’intellectualisme sévisse jusqu’à ce que la même force qui la suscita neutralise à jamais son influence morale ?

Quoi qu’il en soit, du jour où l’on comprendra qu’il y a pour l’homme une autre mission à accomplir en ce monde que de développer, à l’infini, son attirail technique et de s’efforcer — vainement — de concilier ses intérêts de classe ou de race, ce jour-là l’Europe se tournera tout entière vers les sources religieuses et esthétiques de sa civilisation — auxquelles les meilleures n’avaient cessé cependant de s’abreuver.

C’est à l’avènement de cette renaissance religieuse que tous les grands artistes, que tous les grands philosophes de la fin du XIXe siècle ont consacré leur génie, qu’ils le veuillent ou non. Wagner et César Franck, Bôcklin et Burne Jones, Nietzsche et Carlyle, tous ceux qui, dans l’art et dans la philosophie, ont pris contact avec ce fond d’humanité qui confère à leurs œuvres une valeur éternelle, se sont évadés de l’utilitarisme rationaliste pour ressusciter, à nos yeux, à nos cœurs, les rêveries et les morales de ces deux sources-sœurs de notre civilisation : le Paganisme germano-grec et le Christianisme.

Et, si l’on y songe bien, il n’est rien autour de nous de vivant qui ne vive par l’un ou l’autre de ces deux principes : l’amour du Monde ou l’amour de Dieu, l’action héroïque ou le renoncement ascétique, le Paganisme ou le Christianisme. Depuis la Renaissance, tous ceux qui ont eu quelque chose à nous enseigner nous l’ont enseigné dans l’une de ces langues, et nous sentons confusément que toutes nos souffrances, tous nos doutes, tout notre fatalisme naissent de leur opposition, que toute notre joie, toute notre foi, tout notre espoir naîtraient de l’harmonieux équilibre de leurs vertus réconciliées.

On pourrait presque dire que, si elles ne s’étaient pas mé-