Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/110

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de l'Eden, alors que — il y a longtemps de cela — ses portes étaient confiées à la garde des anges.

Autour des portails se dressent des piliers de pierres mélangées : jaspe, porphyre, serpantine vert foncé tachetée de neige, marbres capricieux qui — comme Cléopàtre — tantôt refusent et tantôt accordent au soleil le droit « de baiser leurs veines bleues » dont l'ombre, en se retirant, laisse voir les ondulations azurées, ainsi que la marée basse laisse à découvert le sable sillonné par les vagues. Leurs chapiteaux sont décorés de riches enlacements d'herbes nouées, de feuilles d'acanthe et de vigne, de signes mystiques ayant la croix pour base. Au-dessus, dans les archivoltes, se mêlent le ciel et la vie : les anges et les attributs du ciel; puis les travaux des hommes, suivant l'ordre des saisons. Encore plus haut, au centre, s'élève un autre sommet d'arceaux blancs bordés de fleurs écarlates. Exquise confusion, parmi laquelle les poitrails des chevaux grecs se développent dans leur force dorée, et le Lion de Saint-Marc apparaît sur un fond bleu parsemé d'étoiles, jusqu'à ce qu'enfin, comme en extase, les arceaux se brisent dans un bouillonnement de marbre et s'élancent dans le ciel bleu en gerbes d'écume sculptée, comme si, frappés par la gelée avant de se rouler sur le rivage, les brisants du Lido avaient été incrustés de corail et d'améthyste par les nymphes de la mer.

Quel abîme entre la sombre cathédrale anglaise et celle-ci! Les oiseaux qui les fréquentent suffisent à l'indiquer : au lieu d'être entourées d'une multitude de corbeaux aux ailes noirs, à la voix croassante, les parois de Saint-Marc servent d'abri à d'innombrables pigeons qui nichent dans les feuillages de marbre et mêlent la douce irisation de leurs plumes, changeant à chaque mouvement, aux teintes non moins attrayantes qui restent là, immuables, depuis sept cents ans.