Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/111

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Quel effet cependant produit cette splendeur sur les passants ? Promenez-vous devant Saint-Marc depuis le matin jusqu'au soir, et vous ne verrez pas un œil qui se lève, pas une physionomie qui s'éclaire : prêtres et laïques, soldats et civils, riches et pauvres passent devant la cathédrale sans lui accorder un regard.

Jusque dans les coins des parvis, les plus misérables commerçants de la ville apportent leurs marchandises ; les soubassements des piliers servent de sièges à ceux qui vendent des jouets et des caricatures. Autour de la place qui fait face à Saint-Marc, règne la ligne des cafés où flânent, en lisant des journaux vides, les paresseux Vénitiens des classes moyennes ; au milieu de la place, la musique autrichienne joue pendant les Vêpres, mêlant ses sons à ceux de l'orgue. Elle est entourée d'une foule silencieuse qui, si elle était libre d'agir suivant son désir, donnerait un coup de stylet à chacun des musiciens. Et, dans les angles des parvis, tout le long du jour, des hommes du peuple désœuvrés, apathiques, restent couchés au soleil comme des lézards, tandis que des enfants sans surveillance, dont les jeunes yeux expriment déjà la désespérance et une froide dépravation, et dont les gosiers sont éraillés par les imprécations, crient, se battent, dorment ou jouent en jetant leurs centimes bosselés sur le rebord en marbre du portail; tout cela sous le regard du Christ et de ses anges.

Pour entrer dans l'église sans traverser toutes ces horreurs, gagnons le côté qui fait face à la mer et, passant autour des deux massives colonnes rapportées de Saint-Jean-d'Acre, ouvrons la porte du baptistère. Une fois cette lourde porte refermée sur nous, la lumière et le bruit de la Piazzetta ne nous atteindront plus.

Nous sommes dans une chambre basse, voûtée non par des arceaux, mais par de petites coupoles parsemées