Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de force et de délicatesse que, bien que la construction soit incrustée, elle possède toutes les conditions de solidité. Ces exemples intermédiaires ne peuvent cependant nous faire confondre ces deux familles distinctes ; l’une dont la substance est partout semblable, ce que prouvent à la fois sa forme et ses ornements ; — tels les meilleurs monuments grecs et la plupart des normands et des gothiques — l’autre, dont la substance interne et la substance extérieure sont différentes et dont le système de décoration est fondé sur cette dualité, particulièrement à Saint-Marc.

Je tiens à mettre l’école de l’incrustation à l’abri de tout reproche de dissimulation. Elle apparaît ainsi au constructeur normand : habitué à ne manier que de solides blocs de pierre, il considère la superficie externe d’un morceau de maçonnerie comme le critérium de son épaisseur, mais lorsqu’il connaîtra mieux le style incrusté, il comprendra que les constructeurs du sud n’ont eu aucunement l’intention de me tromper. Il verra que chaque plaque du revêtement est ouvertement rivée à sa voisine, que les joints en sont visiblement rattachés à la matière intérieure. Il n’aura pas plus le droit de se plaindre d’une fraude qu’un sauvage qui, voyant, pour la première fois un homme revêtu d’une armure, l’accuserait d’être fait tout en solide acier : mettez le sauvage au courant des usages de la chevalerie et il n’accusera plus de déloyauté ni l’armure, ni celui qui la porte.

Il nous faut considérer les circonstances naturelles qui donnèrent naissance à ce style : une nation de constructeurs placés loin de toute bonne carrière de pierres, pénétrant avec peine sur le continent qui les renferme, était forcée par conséquent, ou de bâtir uniquement avec des briques ou d’importer des pierres venant d’une grande